La Muette - Drancy un camp aux portes de Paris chez La Boîte à Bulles

/ Critique - écrit par Cirriana, le 29/04/2025

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Il y a des lectures qui vous laissent en apnée, les yeux humides et le cœur en vrac. La Muette, bande dessinée poignante de Loïc Dauvillier et Marc Lizano, fait partie de celles-là. Publiée en partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, cette œuvre n’est pas simplement un récit graphique : c’est une gifle, un cri contenu, une mémoire qu’on arrache au silence.

Drancy. Une ville banale, en bordure de Paris. Et pourtant, un nom synonyme d’effroi. Entre 1941 et 1944, plus de 63 000 Juifs y ont été internés, avant d’être déportés vers Auschwitz. Le bâtiment central de la Cité de la Muette, immeuble d’habitation moderne dans sa conception, devient le premier maillon de la chaîne de la mort.

Ce que cette BD rappelle, sans détour, c’est l’ampleur de la collaboration française. L’administration, la police, la logistique : tout était en place, ici, pour faciliter les rafles, l’internement, la déportation. Et cela, à quelques kilomètres du cœur de Paris, dans l’indifférence presque générale.
© La Boite à Bulles 2025.

 

Jean-David Morvan ne se contente pas de faire œuvre d’historien. Il restitue des témoignages, des faits documentés, avec sobriété mais sans rien édulcorer. Le texte est sobre, dur, factuel — et c’est cette rigueur glaçante qui rend la lecture si bouleversante.

Mais c’est surtout le travail graphique de Tristan Fillaire qui sidère. Il y a, dans ses visages, une intensité bouleversante. Son travail de portraitiste est remarquable : chaque regard est une question, un appel, une condamnation muette. Il ne dessine pas des personnages, mais des présences. Des absents aussi, beaucoup.

Les couleurs sourdes, les aplats de gris et de sépia, les perspectives étouffantes rendent palpable la claustrophobie de la Cité de la Muette. Drancy n’est pas seulement un lieu de transit : c’est une prison construite pour accueillir la mort et la torture sous toutes ses formes.

En partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, cet ouvrage est plus qu’une œuvre : c’est un devoir. Une piqûre de rappel. À l’heure où l’antisémitisme resurgit, où l’Histoire est contestée, minimisée, déformée, La Muette impose notre passé.

Il faut lire La Muette. Pour se souvenir, pour transmettre, pour refuser que l’Histoire recommence. On referme cette bande dessinée comme on sort d’un lieu de mémoire : en silence, le cœur serré, le regard plus lourd.