9.5/10Il était une fois l'escalade

/ Critique - écrit par Islara, le 15/01/2024
Notre verdict : 9.5/10 - Ressentir la vibration de la grimpe (Fiche technique)

Tags : escalade histoire mont fois editions catherine blanc

Pour la première fois dans l'histoire de la bande-dessinée et de l'escalade, une BD compile l'histoire de cette discipline hors du commun sur les 300 dernières années, avec un prologue sur ses origines depuis le début de l'ère humaine. Un véritable chef-d’œuvre ! Son brio est tel que le tirage fut épuisé à la fin de l'année 2023, deux mois à peine après sa sortie. Réédition en cours.

L'escalade, ses grimpeurs et grimpeuses constitutent un petit monde confidentiel, discret et modeste, mais totalement sidérant, aussi incroyable que passionné. Ne cherchant ni succès, ni victoire, ni célébrité, ni business, les grimpeuses et grimpeurs partent seulement, souvent après une révélation, en quête d'eux-mêmes, de grands espaces, du lien unique entre l'être humain et la roche, la hauteur et le vide. Celles et ceux qui vous sont racontés dans cette oeuvre magistrale, fruit de quatre années de travail d'équipe, ont vécu ou vivent encore uniquement pour cette vibration et la partager de mille et une façons.

Bien plus qu'un sport, l'escalade, comme les arts martiaux, sont à la frontière de l'art et de la spiritualité, sauf qu'il faut y ajouter le lien puissant avec la nature, au point que certains puristes de la grimpe sont allés parfois jusqu'à ôter de certaines parois les "gollots" (tiges métalliques enfoncées dans la roche, ancêtres des pitons actuels), au grand dame d'autres grimpeurs d'ailleurs.

Toute la force de cette BD est d'avoir réussi à nous faire sentir cette vibration, à la vivre nous-mêmes au cours de la lecture, alors pourtant que les figures emblématique de la discipline sont tellement nombreux et nombreuses que seulement quelques cases, bandes, jamais plus de 3 à 6 pages maximum, ne purent leur être accordées. Les scénaristes ont ainsi eu le génie de savoir aller à l'essentiel, tout en mettant en évidence des anecdotes hallucinantes, ce qui permet d'éviter une narration fastidieuse et ennuyeuse. Saviez-vous ainsi que le célèbre homme-arraignée qui gravit régulièrement les gratte-ciels de par le monde est le Drômois Alain Robert, et que lors d'un court passage dans la prison de San Francisco (parce que, hein, rappel : l'ascension d'un monument historique c'est une contravention ou un délit selon les pays), il battit le record de pompes sur un bras de ses co-détenus ? Saviez-vous également que l'Anglaise Dorothy Pilley gravit le Victoria Memorial devant Buckingham Palace le 11 novembre 1918, jour de l'Armistice ?

Les planches graphiques ne sont pas en reste pour nous faire vivre cette vibration exceptionnelle. Plongées et contre-plongées, cases sur une page entière, plans d'ensemble sur des vues splendides, plans rapprochés sur les corps ou visages des grimpeurs et grimpeuses ou même tout simplement sur seulement leurs doigts. Toute la palette des techniques avancées de la BD est à l'oeuvre pour parachever Il était une fois l'escalade. Et évidemment, le travail sur les couleurs, indispensable pour une BD de cet ordre, est d'une minutie est d'un réalisme saisissant, que ce soit sur la roche, les cieux, les mers, les grottes, les forêts, d'un bout à l'autre de la planète.


© Editions du Mont-Blanc.

 

Ce qu'on aime aussi beaucoup dans Il était une fois l'escalade, c'est son esprit universel, à l'image de l'escalade elle-même. On y apprend ainsi qu'en escalade, la parité hommes-femmes en performances de haut niveau y est exceptionnelle, comparée aux autres sports. Ce n'est certainement pas un hasard. Même si la discrimination ou des préjugés ont pu y être ou être encore présents, la transcendance de la discipline ne pouvait qu'être plus forte. Qui pourrait empêcher qui que ce soit de grimper un rocher, un arbre ou une grotte si son coeur l'y appelle ? Alors, certes, si la première moitié de la BD manque cruellement de femmes, la seconde partie se rattrape largement. N'oubliez pas d'ailleurs que la co-autrice Catherine Destivelle fut une légende mondiale de l'escalade et une brillante alpiniste dans les années 80.

Dans cet esprit universel, on remarque également que la BD prend soin de présenter tous les sytèmes de cotation des voies de grimpe de chaque pays qui en a établi et leurs lieux emblématiques de grimpe. Elle décrit aussi avec une certaine émotion les liens d'amitiés qui se sont souvent noués entre grimpeurs et grimpeuses de différentes nationalités au cours de ces trois derniers siècles, malgré les deux guerres mondiales du XXème siècle.

On s'étonne néanmoins, même si les auteurs ont quelques mots et planches très intéressantes pour les falaises de Bandiagara au Mali, que l'Afrique et les Africain(e)s soient un peu les grands absents de cette grande histoire de l'escalade. À nous d'approfondir la question avant de nous en émouvoir. 

Enfin, un glossaire bienvenue et illustré conclut l'oeuvre et on s'y réfère régulièrement avec plaisir.

Conclusion

Il était une fois l'escalade est tellement riche qu'à l'évidence, je la relirai, et relirai encore tant toutes ces histoires sont exceptionnelles. Cette BD attirera probabablement avant tout les aficionados de la discipline, mais elle sera également accessible à tout(e) curieux(se), et qui sait, peut-être déclenchera-t-elle de nouvelles vocations.

Article 1 de la Charte éthique de l'escalade de la Fédération Internationale d'Escalade Sportive :

"Nous les grimpeurs sommes une communauté de passionnés. Partout dans le monde, qui que nous soyons, nous aimons nous rencontrer et partager notre passion qui est pour nous bien plus qu'un sport. Pour chacun de nous, d'une manière personnelle et intime, grimper c'est vivre."