7.5/10Nathanaëlle

/ Critique - écrit par Maixent, le 14/11/2019
Notre verdict : 7.5/10 - Changer le monde (Fiche technique)

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Dystopie graphique

On est toujours un peu circonspect lorsqu'on nous annonce que deux grands noms de la bande dessinée se sont associés pour un album d'exception. D'un côté le rockeur Fred Beltran guitariste des Washington Dead Cats jusqu'en 2015, de l'autre Charles Berberian, du duo Dupuy-Berberian, connu pour un style léger et décalé, légèrement bourgeois-bohème. Deux univers donc qui se retrouvent pour un album de science fiction sur un thème somme toute assez classique, deux mondes qui s'ignorent, l'un en surface, l'autre cloîtré dans les entrailles de la terre.


Le bout du tunnel

 

Un peu sur le principe de Demolition Man, un gouvernement manipulateur a condamné toute une frange de la population à vivre sous la surface du sol dans la pauvreté tandis qu'au-dessus, le monde évolue normalement. La différence majeure étant que l'humanité a maintenant accès à l'immortalité (moyennant finances bien sûr). Les plus pauvres ont la capacité de transférer leur âme dans un corps robotique de plus ou moins grande qualité, les plus riches dans un corps humain. C'est le cas de Melville qui est devenu un automate/machine à café et continue de vivre avec sa femme et son fils malgré des soucis domestiques de plus en plus importants et un décalage de fait entre des humains soucieux de leurs tracas quotidiens et une machine dont la seule passion et sujet de conversation tourne autour de la qualité du café. 
Une ommunication père/fils difficile

 

 Mais le déclencheur vient de Nathanaëlle qui décide un jour de remonter à la surface et mettre en porte à faux les mensonges du gouvernement en se rendant compte que l'hiver nucléaire n'a pas eu lieu. Plus encore, on se rend vite compte qu'elle est la fille du Grand Sage Tabor, qui brigue un septième mandat séculaire afin d'accomplir son grand oeuvre, intimement lié à sa fille rebelle, pour renverser l'ordre établi d'une humanité ayant sombré dans la décadence morale. 


Secrétaire 2.0

 

Il s'agit donc d'un album d'exposition qui laisse clairement sous-entendre une suite même si elle n'est pas annoncée officiellement. On y croise des personnages extrêmement bien développés, ce qui explique en grande partie la qualité de l'album. En effet, même les personnages secondaires ont une personnalité propre et dégagent une réelle humanité (ce qui est paradoxal dans ce monde de cyborgs et de faux-semblants). Le tout étant mis en valeur par le sublime dessin de Fred Beltran qui caractérise chaque personnage avec brio. En témoigne par exemple la sculpturale assistante de Tabor qui apparaît peu mais marque tout de même les esprits par son port droit et altier. Tabor est lui aussi très bien rendu, avec un style graphique pouvant rappeler celui de Paul Grimault mais avec le style si reconnaissable qui ont fait le succès du dessinateur.

La richesse et la complexité des dialogues participent également de cette qualité. On s'attarde sur des positionnements et des questions politiques parfois complexes qui permettent de mieux cerner cet univers dystopique et de lui donner plus de relief. Comme si l'immortalité avait poussé l'humanité à trop de raisonnements, s'enlisant dans des considérations absconses qui ne sont en fait qu'une régression. D'où une portée philosophique de l'album, rejoignant ainsi les questionnements de la science-fiction, à même de mieux rendre compte de notre présent.

L'ensemble donne un album de très bonne facture même si on reste sur notre faim et qu'il n'y a pas vraiment de nouveauté. Restent surtout le dessin et les choix graphiques qui sont les véritables points forts.