Futuropolis : Johnson m'a tuer, Gavrilo Princip et La grande guerre

/ Critique - écrit par plienard, le 19/07/2014

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Trois albums plus que sérieux chez Futuropolis mais qui ne manquent pas de qualités didactiques.

Johnson m’a tuer – note 7/10


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Travailleurs de tout bord, unissez-vous ! La lutte ne fait que commencer. À la lecture de cet album-témoignage de Louis Theiller, c’est le cri d’urgence que l’on pourrait lancer. En racontant de l’intérieur, le combat des ouvriers de Johnson Matthey contre la fermeture de leur usine, il exprime une réalité froide qui ne donne pas beaucoup d’espoir.

Mais qui est Louis Theillier ? C’est un travailleur chez Johnson Matthey en Belgique. Et dès le début du conflit social, il prend son stylo-bille pour réaliser un journal de bord. Il n’est pas question, ici, de profiter de la situation pour faire un livre et se faire un nom. Il s’improvise reporter. Ce n’est pas un professionnel de la bande dessinée. Il est important de le souligner car, outre le fait qu’il a un bon coup de crayon, les puristes pourraient avoir des remarques à faire. Mais avec ce genre d’album, c’est bel et bien le contenu et le sujet plutôt que le contenant qui importe.

Et c’est avec ce trait parfois mal assuré qu’il relate le conflit qui démarre le 31 janvier 2011. Le directeur de l’usine vient annoncer aux employés la fermeture prochaine de l’usine. La direction anglaise l’a décidé pour des raisons économiques. Pas rentable, trop d’investissement à faire ! La réalité est pourtant tout à fait différente. L’usine est bénéficiaire et cela fait plusieurs années que les employés se démènent pour augmenter les rendements. Mais ce que l’ouvrier belge n’a pas compris et qu’il ne peut accepter, c’est qu’il faut travailler plus et gagner moins. Alors la direction a décidé de délocaliser l’usine en Macédoine en mentant sur les chiffres.

Si on peut s’interroger sur la signification du titre et sa faute de grammaire évidente, Johnson m’a tuer au lieu de tué ( ?), il ne faut pas se laisser divertir. Le sujet est dur et est traité avec suffisamment de recul pour ne pas virer à la caricature. On a cependant un seul point de vue. Il faut dire que l’auteur est aussi concerné par le conflit. CONFLIT : voilà un terme galvaudé. Ce mot guerrier laisse entendre qu’il y a eu un affrontement franc entre les salariés et les employeurs. Pourtant à la lecture du livre, il semble bien que les employeurs ont tiré à balles réelles pendant que les employés tiraient avec des balles en caoutchouc. Bilan : 300 emplois morts !

 

La grande guerre – note 8/10


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Nous sommes en 2014. Nous fêtons le centenaire du début de la première guerre mondiale. Diverses manifestations sont prévues ou ont eu lieu pour marquer ce triste événement. En bande dessinée, cela a commencé en Janvier à Angoulême avec l’exposition bouleversante et magnifique « Tardi et la grande guerre ». Les éditions Futuropolis apportent leur grain de sel avec deux albums. Le premier, La grande guerre, paru en Avril, est l’œuvre de Joe Sacco. Le second, Gavrilo Princip, sous-titré « l’homme qui changea le siècle », est paru en Mai et est signé Henrik Rehr.

 

La grande guerre est un album à part et n’est pas un album à lire mais à regarder. Il ne contient pas de cases. Il est une bande muette de près de 7 mètres de long, pliée en accordéon. Chaque pli délimite une scène qui s’inscrit cependant dans la continuité de la précédente et de la suivante. Une temporalité apparaît donc, de façon surréaliste et incroyable. Joe Sacco y traite une journée, le 1er juillet 1916, la première de la bataille de la Somme qui fit 58 000 victimes dont 20 000 morts !

Le concept du livre est fantastique et ne vaut que par le talent de Joe Sacco. Considérant qu’on ne peut pas faire mieux que Jacques Tardi, l’auteur maltais (il est né à Malte !) vivant aux États-Unis signe un livre original inspiré de la tapisserie de Bayeux qu’il enrichit d’un livret de commentaires sur le déroulé de cette première journée. Une œuvre à part comme seul c’est le faire l’auteur de Gaza 1956.

Et si vous êtes de passage à Paris, vous pourrez admirer une représentation du livre panorama de Joe Sacco à la station de métro Montparnasse-Bienvenüe (ligne 4) jusqu’à la fin août 2014.

 

Gavrilo Princip – note 6/10


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Le nom de Gavrilo Princip vous est sans doute inconnu tout comme à moi. Il a pourtant marqué le vingtième siècle de façon irrémédiable. Il est à l’origine de la première guerre mondiale, et indirectement de la seconde et de la guerre des Balkans dans les années 1990.

Gavrilo Princip est serbe de Bosnie-Herzégovine et le 28 Juin 1914, il va assassiner le prince héritier de la couronne austro-hongroise, François-Ferdinand, à Sarajevo. Par une réaction en chaîne et le biais des alliances, il va en découler la première guerre mondiale.

Dans ce livre, l’auteur Henrik Rehr va revenir sur la vie de cet illustre inconnu, de condition modeste, emporté par la folie des nationalismes de l’époque. Avec des dessins en noir et blanc, souvent très sombres, on suit le parcours de Gavrilo en tentant de comprendre les germes de son radicalisme. La pauvreté est bien sûr le premier ingrédient. Les mauvais traitements de l’occupant autrichien en sont des autres. Ses lectures socialistes – on dirait aujourd’hui communistes – lui donnent l’illusion d’une révolution possible.

Si le livre est enrichissant – il permet de faire un état des lieux assez précis de la situation – il n’est pas très joyeux. Le contexte historique est tendu. Pour rendre tout cela, le dessin est très austère avec des décors parfois minimalistes. Le récit ne convainc pas forcément non plus. Le joug autrichien n’est pas apparent, à part quelques allusions par-ci par-là. Du coup, Gavrilo Princip apparaît plus comme un comploteur nationaliste et un terroriste et son action perd de sa justification, surtout quand on en connaît les conséquences.

 

Le livre nous en apprend un peu plus que les cours d’histoire de l’école, c’est sûr. Et si on perçoit les raisons du geste de Gavrilo Princip, on ne peut en aucun cas le justifier.