7.5/10Par la forêt

/ Critique - écrit par Maixent, le 03/11/2021
Notre verdict : 7.5/10 - L'entre-monde (Fiche technique)

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Conte moderne et intrigue policière

Paradoxalement, dans un ouvrage qui traite principalement de notre incapacité à se retrouver et à communiquer, Par la forêt est avant tout une rencontre entre deux auteurs. D'un côté Jean-Christophe Chauzy au dessin connu principalement pour ses ouvrages d'auto-fiction doux-amers chez Fluide Glacial et son appétence pour les polars avec notamment une longue collaboration avec Thierry Jonquet ; de l'autre, Anthony Pastor, amateur également de romans noirs, ce qui se ressent dans son œuvre, notamment la dernière parue, la série NO WAR. Tous deux ont en commun une vision complexe de la société, conscients de sa violence mais aussi du potentiel de Beauté chez l'être humain et la nature qui l'environne, poursuivant une réflexion sur notre manière d'être au monde. C'est la trame de fond de Par la forêt. Une bande dessinée d'apparence simpliste, avec un pitch là aussi d'une simplicité absolue mais dégageant une véritable poésie et une réflexion bien plus profonde qu'il n'y paraît.
© Casterman 2021.

 

Le personnage principal, une jeune enquêtrice, n'a pas de nom. Ce que l'on sait d'elle c'est un passé sans doute difficile et une enfance en banlieue et surtout qu'elle s'est mise à courir dans la forêt. La même forêt qui a été le théâtre de sa première enquête avec son partenaire puis amant Kylian. Poussant l'obsession un peu plus loin, elle vit maintenant dans la maison même où vivait la victime, dans ce lotissement sans âme à la lisière des bois. Dans ce microcosme évoluant dans cette bordure floue comme un passage entre deux mondes, les gens se croisent. D'un côté ses vieux voisins qui passent leur vie à promener leur chien, isolés dans cette société agressive. De l'autre ceux qui ont franchi le pas et sont passés dans les bois, « le farfelu qui écoute les oiseaux » et la mère de la victime. La jeune policière fait le lien, enfilant sa capuche orange et courant dans les bois comme une fuite mais aussi une avancée, se détachant peu à peu de sa réalité, le commissariat et son amant qui ne la comprennent plus.


© Casterman 2021.

 

Ce qui commence comme une enquête classique, soit comprendre les raisons de la disparition de la victime, devient métaphysique, voire mystique. On bascule dans un conte contemporain où le personnage principal est finalement la forêt elle-même. On pense aux vers de Dante « Nel mezzo del cammin di nostra vita. mi ritrovai per una selva oscura. ché la diritta via era smarrita. » que l'on pourrait comprendre comme pour indiquer la condition de celui arrivé à la moitié d'un parcours, amené à réfléchir sur les choix passés et futurs. La forêt est ici cette fine particule entre les mondes, le moment précis où notre corps traverse le miroir pour arriver à autre chose. Une compréhension différente, voire même un état de conscience autre permettant une évolution de l'être et de se retrouver soi-même.

Cette fable est aussi prenante par son ambiance à la fois mortifère et lumineuse traitée de manière très subtile. Nous ne sommes pas dans un manichéisme simpliste avec d'un côte la méchante industrialisation et de l'autre la gentille nature. C'est l'incommunicabilité entre les êtres et les lieux qui donne le ton. Cette atmosphère globale est présente aussi bien dans les tentatives avortées d'échanges entre les protagonistes se soldant souvent par un recours à la violence, que dans une nature certes vivante mais aussi blessée que notre héroïne. Bien sûr cette aura transparaît dans le dessin à l'aquarelle dans le but de conférer une dimension organique et d'insister sur ce flou narratif, créant un monde vibrant d'émotion, jonglant toujours entre l'angoisse, le mouvement et la pureté. Le dessin sert donc parfaitement le propos.

Par la forêt est le portrait réussi d'un monde où l'anonymat et l'anxiété ont pris le dessus. Cependant, il ne s'agit pas d'un ouvrage triste proprement dit car les personnages rayonnent. Ils ne sont pas au courant, tout simplement, de la force qu'ils peuvent puiser en eux et qui se trouve juste à la lisière.
© Casterman 2021.