Badlands
Bande Dessinée / Critique - écrit par athanagor, le 27/08/2009 (Tags : national parc badlands park city dakota nord
Sur le principe de la malédiction portée par le Corpus Hermeticum, Gonzalbo et Cassini déchaînent les esprits du Dakota du Sud et font pisser le mauvais whisky.
1890, Jonny Hamilton arrive à Deadwood, se recueillir sur la tombe de son père James, disparu récemment. Ce dernier ayant abandonné sa famille pour courir l'or dans le Dakota du sud, il n'a pas pu laisser à son fils autre chose que de vagues souvenirs. Celui-ci a bien tenté de le rejoindre, ne serait-ce que pour le connaître, un peu, mais sa mère ne l'a jamais laissé partir. En débarquant à Deadwood, il fait rapidement connaissance avec les us et coutumes de la région, autrement plus rustiques que ceux auxquels il est habitué dans l'Est. Au hasard des rencontres pour le moins musclés qu'il va faire dans cette ville, il va tomber sur Jim Bridger, le meilleur ami de son père, qui pourra lui en parler, un peu. Celui-ci va surtout l'emmener dans la maison de James, ou plutôt sa cabane, considérant que ce qui s'y trouve constitue un héritage. Au milieu des maigres possessions de James, Jonny va trouver, dissimulé dans le sol, un livre qui ne semble pas avoir de grande valeur. A son contact, il ressent la plus désagréable des
Le bon air du nordsensations, mélange entre une électrocution et un cauchemar. De cet instant partira la chasse que lui donneront trois étranges cavaliers. Aidé de Jim et de Samuel, un vieil indien, Jonny va devoir fuir loin, et vite.
C'est une assez bonne aventure que nous proposent ici les auteurs, Alex Gonzalbo à l'histoire (surtout connu comme coloriste), qui scénarise ici son deuxième tome de la série des Corpus, et Jean-Claude Cassini au dessin. Assez courte, surtout du fait de l'enchaînement ininterrompu des événements, elle se parcourt en moins de temps qu'il en faut pour attraper une pneumonie, nu sous la neige. Pourtant, malgré la vitesse d'exécution, elle ne fait aucune économie d'explication ni d'articulation. Il en résulte un travail dynamique, clair et haletant, avec un heureux mélange d'action et de mysticisme. Construite sur le principe d'un livre un peu flippant, le Corpus Hermeticum (sûrement en référence à l'ouvrage d'Hermès Trismégiste), censé contenir toutes les connaissances cachées dans l'Histoire humaine, elle transpose la malédiction dans une Amérique de la fin du 19e siècle, que l'on connaît plus pour ses duels au colt. Pourtant, un autre aspect de cette période, que l'on a tendance à oublier, se prête à l'exploitation du sujet ésotérique. Mais oui, bien sûr ! Les indiens et tout leur attirail de croyances bizarres sur les esprits et la terre de leurs ancêtres. Même si depuis (et Dieu merci) un grand courant biblique a balayé toutes ces sottises, le fond mystique offre une excellente base à l'expression un tantinet sadique de ce livre mystérieux. Notons d'ailleurs que ce bouquin est un cran plus vicieux
T'as du feu ?que le Necronomicon. Ce dernier nécessite d'être lu par sa victime avant que celle-ci ne se retrouve mystérieusement à découvert et harcelée par le Fisc, alors que le Corpus Hermeticum peut déclencher des embrouilles par un simple contact avec la préface de l'éditeur. Pour d'autres livres excessivement fouteurs de Bronx, il y a aussi ça.
Au final, la complicité des deux auteurs se résout avec beaucoup de naturel dans cet environnement, le western, qu'on ne trouve pas si souvent dans la BD. Sans verser dans la caricature, Cassini pose une atmosphère juste et attirante avec un trait pêchu et caractériel. Parvenant à emmitoufler le récit dans une crasse quasi-protectrice, qui offre alors à la violence qui s'y exprime un certain esthétisme, il fait penser aux réalisations d'Eastwood dans ce genre particulier, où le spectateur finit par considérer que la violence n'est pas seulement acceptable, mais nécessaire, presque vitale.
Très entraînant, ce one-shot visuellement réussi interpelle et captive aussi énormément par son style et l'esthétisme noir qui résulte de la conjugaison des genres, qui s'interpénètrent réciproquement sans jamais perdre leurs identités. On regrettera tout de même un peu la fin. Pas tant qu'on la voit venir à des kilomètres (on aurait d'ailleurs été déçu que cela se finisse autrement), ni par le côté kitchouille des éclairs qui sertissent les trois dernières pages pour affirmer la présence de l'orage sur la grande ville de l'Est, mais plutôt par l'aspect un peu mystérieux de la conclusion et la demi-incompréhension dans laquelle on se retrouve, provoquée par la rapidité d'exécution, et malgré le très bon découpage, en une page, de l'affrontement final.