7/10Une Aventure rocambolesque de - Tome 5 - du soldat inconnu : Crevaisons

/ Critique - écrit par riffhifi, le 13/04/2009
Notre verdict : 7/10 - L'inconnu du bataillon (Fiche technique)

Dans la veine de La ligne de front, Larcenet joue un peu la carte de la redite mais s'en tire avec les honneurs. Au dessin, Daniel Casanave assure la cohérence d'un univers doucement absurde.

Depuis le premier tome paru en 2002, le concept d' "aventure rocambolesque" est devenu un label un peu fourre-tout, qui a permis aussi bien de rééditer La légende de Robin des Bois que de sortir cette année cette histoire de Soldat inconnu sans grand rapport avec la démarche d'origine. Rappelons le principe initié par Manu Larcenet en solo : un personnage célèbre se retrouve dans un contexte narratif incongru, et y vit une aventure rocambolesque. Freud au far-west, Van Gogh sur le front de la première guerre mondiale... L'aventure d'Attila, également dessinée par Daniel Casanave, semblait déjà bien peu rocambolesque, dans le sens où le personnage se contentait d'être lui-même et d'en être un peu lassé. Ici, il n'est pas même question d'un héros célèbre (parce que bon, hein, le Soldat inconnu, par définition...), et le contexte socio-historique apparaît complètement flou : futur potentiel, réalité alternative, abstraction poétique ?... On ne sait ni le lieu ni la date, les deux protagonistes sont des figures suffisamment déconnectées de la réalité pour traduire une certaine volonté d'universalité de la part des auteurs.

Ebenezer Raidart est le fossoyeur d'un cimetière qu'il n'a pas quitté depuis des années. En manque de provisions, sans réponse de ses supérieurs à qui il envoie régulièrement des pneumatiques, il se décide à affronter le monde extérieur... Il ne trouvera que le Soldat inconnu, inexplicablement sorti de sa tombe et complètement déboussolé de se réveiller plusieurs dizaines de décennies après la Grande Guerre.

Curieusement, le Soldat inconnu n'apparaît pas comme le personnage principal de cette histoire, dans laquelle il n'apparaît qu'au bout d'une dizaine de pages. Le véritable héros, c'est le vieux bonhomme campé au milieu de son cimetière, écoutant du punk à longueur de journée (projection de Larcenet himself, anyone ?), et soudain confronté à une figure mythique dont personne ne sait rien, dans un monde où... personne n'existe plus. L'occasion de se pencher à la fois sur l'identité du défunt anonyme et sur la thématique ultra-usé de la guerre (pour ceux qui n'auraient pas exploré le sujet, sachez que la guerre, c'est pas bien, caca boudin, ça tue les gens). Difficile de ne pas y voir une redite de La ligne de front, à la fois dans l'évocation de la guerre de 14-18 et dans son traitement occasionnellement onirique. Moins humoristique dans le traitement, Crevaisons passe légèrement à côté de l'impact qu'auraient pu avoir les séquences dramatiques si elles avaient été insérées entre deux gags, comme dans La ligne de front. Mais l'album se défend plutôt bien, en choisissant de ne finalement opter ni pour la comédie ni pour le pamphlet anti-guerre (encore que quelques pages sentent le déjà-vu pontifiant), mais plutôt pour une leçon de vie dispensée sous forme absurdo-poétique.

Par rapport à Attila le Hun, le fléau de Dieu, Daniel Casanave cherche moins à émuler Larcenet qu'à signer de sa propre patte, vue récemment sur les deux tomes de Crémèr. Le résultat est agréable, et finalement plus en phase avec le style de Larcenet que le dessin trop rondouillard et épuré d'Attila. Ajoutez le son à l'image (une playlist des titres punk joués dans l'histoire, à base de NOFX et de Bad Religion, est disponible en fin d'album), et vous obtenez une entrée agréable dans l'univers de Poisson Pilote, à défaut d'être la plus marquante.