8/10Animal'z

/ Critique - écrit par riffhifi, le 29/04/2009
Notre verdict : 8/10 - Bilal’z (Fiche technique)

Tags : bilal animal enki art sang trilogie histoire

Enki Bilal reste un gros fumeur de moquette, dont les délires narratifs sont servis par un dessin irréprochable et envoûtant. Demi-zèbres, dauphins mutants et hippocampes volants peuplent le monde de ce nouvel album déroutant.

Au jeu des comparaisons, on pourrait dire qu'Enki Bilal est à la bande dessinée ce que David Lynch est au cinéma : un insaisissable franc-tireur, capable aussi bien d'illustrer les récits les plus réalistes que de se laisser aller à faire parler un imaginaire débridé à la sémantique onirique, tout en s'autorisant à explorer d'autres
arts nonchalamment (Lynch est peintre, musicien, etc., Bilal a réalisé trois films).

Récemment passé de l'écurie Humanoïdes Associés à la plus familiale maison d'éditions Casterman, Bilal n'a pas perdu son âme dans l'opération, et livre cette année un one-shot cryptique, plongée en apnée dans un futur proche (ou pas) dont les personnages luttent pour survivre (ou pas) et atteindre un Eldorado qu'on peine à se représenter étant donnée l'austérité ambiante... L'exercice du résumé relève ici du sport de compétition, et deux lectures de l'album ne sont pas de trop pour identifier clairement les personnages et leurs agissements. Essayons tout de même : Lester Outside, baroudeur, est à la recherche du Détroit 17 qui l'amènera peut-être à un Eldorado, un de ces lieux préservés par le récent Coup de Sang qui a ravagé la planète et en a fait une sorte de Waterworld invivable. Lester est accompagné de son hippocampe-robot, qui marche mal. Il rencontre un homme qui se présente sous le faux nom de Frank Bacon : en réalité, il s'agit d'un dauphin qui vient de tuer une veuve et de lui piquer son homard-robot. Bon, ce n'est toujours pas clair... et rien ne s'arrangera quand vous rencontrerez Kim, ses yeux bioniques et son père titulaire d'une nageoire au pied gauche... Sans parler du cavalier duelliste qui chevauche un demi-zèbre et s'exprime presque exclusivement par le truchement de citations... Non, décidément, Animal'z ne s'explique pas, il se lit. A mesure que les pages s'égrènent (il y en a près de cent, la lecture est aussi longue qu'elle est touffue), les liens qui unissent les personnages se font plus nets et
l'objectif du voyage s'éclaircit légèrement, aussi légèrement que les teintes des images. Le gris-bleu foncé des premières planches devient très progressivement plus lumineux ; fidèle à lui-même, Bilal dote son personnage central de cheveux bleus et parsème ses cases quasiment monochromes de quelques percées de rouge (le homard, un peu de sang). La constance des teintes malgré la multitude d'histoires parallèles contribue à la difficulté de compréhension, même si le passage d'une intrigue à une autre est généralement signifiée par un trait horizontal. Pourtant, cette nébulosité même contribue au mystère de l'album, où il est possible de confondre régulièrement les personnages, de se demander où l'on est, ce qui se passe... On en revient à Lynch, et à ses films aux multiples interprétations (probablement toutes fausses - et vraies) : Animal'z tient au moins autant de la logique onirique que Lost Highway ou Mulholland drive, et juxtapose quelques visions cauchemardesques à une succession de scènes quasiment ésotériques, avec leurs animaux volants, leurs décors désertiques et leurs dialogues sibyllins.

Décidément, difficile de faire le tour d'un album, et surtout d'un auteur, qui peut passionner comme il peut laisser totalement à la rue.