Amabilia Tome 1 à 4
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 14/01/2024 (Tags : amabilia jeux livres raven tome jeunesse romans
Amour, passion, déchirement et BDSM
Œuvre surprenante aussi bien dans son fond que dans sa forme, Amabilia est également inattendue dans son parcours éditorial. On la rencontre d’abord sur internet, une publication numérique perdue dans l’océan des webtoons et consorts. Mais Amabilia s’étoffe, prend de l’ampleur, a besoin d’exister à la fois dans l’universalité de la toile, mais aussi dans la beauté de l’objet. La version papier de Dynamite forme une tétralogie complète et envoûtante au style graphique marqué que l’on devine dès la couverture d’un beau noir anthracite et sensuel. Même si cela n’explique pas tout, la complicité immédiate qui se dégage d’Amabilia vient peut être du fait que l’auteur est multiple. En effet, Eloïse et Thomas Raven forment un couple depuis des années, puisant dans leur amour, leur imaginaire, leurs expériences et sans doute une partie du quotidien pour donner vie à des personnages touchants et humains qui s’approfondissent toujours plus après chaque tome, s’alliant également la complicité de Candice Solère sur une partie.
Iris
Amabilia c’est d’abord une rencontre. Un début comme une comédie romantique entre Iris et Simon. Une de ces rencontres qui ressemblent à des retrouvailles et où la chair prend le dessus sur la raison et les convenances, se transmuant en la passion d’une nuit inoubliable, prélude à un basculement inévitable. Vient ensuite l’imprégnation de ce souvenir dont on sait qu’il va bouleverser une vie. S’en suivent les péripéties obligatoires propres au genre de la comédie romantique et autres quiproquos qui permettent également de présenter certains personnages secondaires. Le premier tome est donc assez classique et permet d’introduire, en plus d’Iris et Simon, Charlotte, la colocataire de Simon, qui déjà fait la connaissance de la sulfureuse Eva et dont la relation sera développée par la suite.
Dès ce premier tome, la sensibilité d’Amabilia peut se ressentir avec nombre de scènes d’un érotisme passionné et bien mises en avant, mais aussi des questionnements qui ancrent les personnages dans notre réalité, comme par exemple la culpabilité ou son absence, qu’Iris ressent envers son mari lorsqu’elle s’engage sur la voie de l’adultère. On reste donc dans un certain classicisme du genre mais la passion dévorante est entrecoupée d’une part de mélancolie rappelant que l’amour doit s’accommoder du quotidien et des difficultés de tout un chacun. Des thèmes qui sont creusés par la suite de manière plus approfondie voire même concentrique, à travers une galerie de personnages divers qui ne cesse de s’agrandir.
Simon
Ainsi, le deuxième tome permet de rentrer directement dans le vif du sujet. On rejoint nos deux amants qui ont enfin réussi à se retrouver après cette nuit magique. En effet, mus par l’urgence des corps, le détail de savoir le nom du partenaire avait été négligé. Ces retrouvailles sont interrompues par Manon qui porte sur elle tous les signaux d’un code rouge, personne à éviter absolument. Mais l’amour rend aveugle et le trio s’embarque pour La Danseuse Folle, un lieu de rencontre BDSM du nom de sa tenancière éponyme qui deviendra un autre personnage important de la bande dessinée. En parallèle, le compagnon d’Eva s’immisce dans sa relation avec Charlotte et déjà s’entrevoient les préludes d’une jolie histoire gâchée.
Sont abordés très vite le thème de la frénésie et de la facilité. Les protagonistes, emportés dans un tourbillon de sensualité et de découvertes se perdent en eux-même. Simon en démontant Valentine, une jeune collègue de travail qui ne peut que lui apporter des problèmes, Charlotte en se forçant pour plaire à Eva, y laissant au passage une partie de son âme, et Iris en se faisant happer par La Danseuse Folle, sa propriétaire et sa soumise, Katia. On retrouve donc la dualité et les oppositions qui naissent d’une grande liberté et du plaisir. Ce n’est pas par hasard que Eros et Thanatos sont associés depuis toujours. Cependant, dans cette dichotomie érotique, les ambivalences sont plus subtiles et le lecteur oscille entre la charge pornographique d’un dessin efficace et prenant et un sous-texte plus anxiogène mettant en avant les difficultés et les déchirements causés par la passion.
Charlotte
Tant est si bien que le troisième tome sera avant tout psychologique. On y retrouve Iris, Simon et Charlotte mais brisés. Bien loin de la douce euphorie d’une NRE (New Relation Energy) ou de nouvelles découvertes sensuelles enivrantes. Le prix est cher à payer, le travail ardu et toute la force de la bande dessinée repose là-dessus, montrer les coulisses. Ce n’est pas une juxtaposition de scènes de sexe mais plutôt un ouvrage montrant les difficultés d’une telle entreprise et qu’il n’est pas évident de trouver une sexualité libre qui convienne à chacun. Iris et Simon sont séparés et il passe ses journées à rêver de celle qu’il a laissé partir quand il ne se branle pas devant sa webcam, laissant le champs libre au retour de Manon. D’un autre côté, Iris tente de composer avec sa solitude, tandis que Charlotte souffre de TSPT (Trouble de Stress Post-Traumatique) suite à sa relation avec Eva et surtout avec son mari… Mais peut-être Jude pourrait l’aider avec du temps et de la patience, à surmonter ce trauma et adopter une attitude résiliente. En parallèle, on entre plus avant dans le monde BDSM proprement dit qui devient tune véritable drogue pour Iris. Elle pénétre de plein pied dans l’extase masochiste ou subspace, un état de transe propre à la culture BDSM qui permet de sortir de soi et d’accéder à un état de plaisir supérieur. Des scènes d’ailleurs parfaitement excitantes et réussies dans un mélange d’angoisse, de sordide et d’extases divines et puissantes sont ici mises en avant dan une ambiance plus sombre que le reste de l’œuvre. Cette atmosphère gothique se ressent dans le dessin d’un noir profond, rappelant que les personnages jouent un jeu dangereux mais sans doute le plus stimulant de tous.
La danseuse folle
Face à tant de bouleversements, le dernier tome s’ouvre sur Iris se posant la légitimement la question : « Qui suis-je ? ». Chacun perdu dans ses névroses et sa solitude poursuit son chemin en essayant de répondre à cette question. Sans doute la seule valable de l’existence. Plus métaphorique et onirique que les précédents, ce tome est basé sur les enseignements des précédents qui étaient très ancrés dans le réel. Des personnages plus mûrs qui ont acceptés les leçons de la vie et comprennent d’autant mieux la notion d’Amour, qu’il soit charnel, pluriel, fantasmé ou intellectualisé. Après sept ans de travail, Eloïse et Thomas Raven closent leur saga qui de bande dessinée de cul est devenue plus universelle, un hymne à l’amour.
D’ailleurs, on remarquera que ce dernier tome est le plus coloré que les précédents, plus solaire. Au fil des albums, le dessin a évolué, les personnages tout comme les contours deviennent plus précis. Et pourtant, on reconnaît un style qui parcours l’ensemble de la tétralogie avec ces grands aplats noirs et profonds rehaussés de rouge pour des points anatomiques ou des décors précis. Le rouge et le noir sont les couleurs consacrées du BDSM mais là, leur utilisation fait sens, guidant le lecteur dans sa lecture et entrouvrant les portes de son imaginaire.
Une œuvre indispensable et vivante qui ne contente pas d’aligner les scènes de sexe mais entre véritablement dans la psyché des personnages. L’Amour est un chemin compliqué, les auteurs l’ont bien compris en le sublimant tout en ne laissant pas de côté ses aspects les plus difficiles.