8.5/10Dans mes yeux

/ Critique - écrit par riffhifi, le 03/03/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Rien que pour mes yeux (Fiche technique)

Tags : dans johnny yeux citation hallyday livres edition

Une historiette d'amour en vue subjective. Tout simple et touchant, dans un style expérimental mais jamais prétentieux. Bastien Vivès a encore frappé.

Après avoir fait sensation l'an dernier avec l'excellent Goût du chlore, Bastien Vivès sort son quatrième album, toujours dans la collection KSTR de Casterman à laquelle il reste fidèle. Le jeune homme (pas encore 25 ans, ça énerve hein ?) s'attache cette fois à la narration d'une histoire d'amour adolescente, vue entièrement par les yeux du garçon. Littéralement.

La jeune fille rousse bosse révise ses partiels à la bibliothèque. Je la regarde... ou plutôt, vous la regardez, et elle le remarque. Et vous engagez la conversation. En fait, vous ne savez pas ce que vous dites, mais vous savez ce qu'elle vous répond. En revanche, vous ne savez plus ce qui se dit quand elle croise ses potes de fac. Difficile de résumer un tel album : les personnages n'ont pas de nom, et les évènements sont tous présentés de façon subjective et immersive : le garçon, c'est vous (d'ailleurs, à quelques adjectifs près vous pouvez aussi bien être une fille). Et un peu comme dans Le goût du chlore, l'histoire est aussi simple qu'universelle, faite de regards, de non-dits, de silences gênés et de silences complices, de conversations banales que l'on trouve uniques, et d'autres que l'on voudrait uniques mais qui s'avèrent ratées.

Sans jamais faillir à son défi de la subjectivité permanente, Bastien Vivès s'impose plusieurs autres contraintes. La narration est découpée en chapitres délimités par les changements de lieux, de façon quasi théâtrale ; chaque nouveau segment est ainsi annoncé par une page figurant simplement l'entrée du décor (la devanture d'un restaurant, l'escalier d'un immeuble) en un petit dessin du format d'une case normale : chaque page est découpée en six images, à quelques exceptions près. On ne peut pourtant pas parler de case dans cet album précis, où Bastien Vivès s'affranchit de la rigueur du tracé pour la remplacer par un crayonné faussement approximatif. D'une image à l'autre, on retrouve ainsi une forme "presque" ronde, "presque" carré, toujours émaillé de traits maladroits ayant échappé à un coloriage visible (mélange probable de crayon à papier et de crayon pastel). Au milieu de ces mini-décors, dont la teinte peut aller du violet le plus sombre au vert le plus doux, le dessin des personnages (90% du temps, la jeune fille au cœur de la romance) varie lui aussi de la précision la plus minutieuse à l'approximation la plus éthérée, pour refléter au mieux la vision et les sensations du narrateur/acteur/lecteur.

Moins obsédant que Le goût du chlore, qui possédait son univers propre (c'est le cas de le dire), Dans mes yeux propose cependant une expérience rare et touchante, une chronique issue directement du quotidien sans paraître triviale, car elle extrait directement les moments forts d'une relation amoureuse, du flirt badin à la gêne de l'intimité. Donc oui, c'est difficile à résumer avec des mots. Mais oui, c'est chaudement recommandable ; et oui, Bastien Vivès est un auteur dont on entendra parler (et dont on parlera) à nouveau.