8.5/10La XIe plaie - Tome 2 - Les bras rouges

/ Critique - écrit par athanagor, le 11/08/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Une tête de retard (Fiche technique)

Ce tome 2 des enquêtes de Michelle Krachek s'avère être une excellente suite, qui se paie le luxe d'apporter un éclairage nouveau sur le premier tome.

En fermant le premier tome de cette série, on ne pouvait s'empêcher de ressentir une vive déception, tempérée seulement par l'excellent travail graphique de Joan Urgell, secondé par la très efficace MAMBBA. L'histoire et son fondement, tous deux convenus et n'offrant pas d'originalité malgré un certain mélange des genres, semblaient hésiter à franchir le pas et basculer dans une dimension fantastique et ésotérique appuyée. On se retrouvait donc avec un ensemble fourmillant de bon point de départ qui n'osaient jamais se développer, laissant parfois le lecteur avec la queue entre les jambes face à des ponctuations narratives étranges. Mais il Mais voyons, rhabillez-vous !
Mais voyons, rhabillez-vous !
n'y manquait pas grand chose, la preuve en étant que le tome deux, affirmant plus ses choix et rajoutant une couche sur le côté paranormal, sort avec panache l'ensemble de la mouise, jusqu'à redorer le blason de la première parution, qui apparaît alors comme une introduction cohérente, de l'ensemble appétissant qui se profile à l'horizon.

Michelle Krachek, qui se remet à peine de sa dernière affaire que nous suivions en sa compagnie, est envoyée à La Rochelle pour enquêter sur la découverte d'un corps décapité dans les filets d'un chalutier. Les tatouages qui recouvrent la dépouille permettent de se faire une idée partielle de l'identité de la victime. Ces tatouages, il les a récoltés dans les prisons de Géorgie et d'Ukraine. Et cela n'est qu'une demi-surprise. Depuis la fermeture de Sangatte, les candidats au départ ont cessé de se masser sur la côte nordiste, s'étalant de plus en plus vers le sud. L'autopsie révèle aussi que le corps n'a pas été jeté dans la mer, mais bien dans les marécages voisins, et il y a justement à leur lisière un campement de réfugiés. Peut-être que ceux qui y survivent pourront identifier le corps. Menant son investigation sur le terrain comme dans ses rêves étranges, Michelle comprend qu'il y a plus ici qu'un simple homicide. Les éléments en présence pointent de plus en plus vers un souverain mal, que l'apparition de celui qu'on appelle le « Maître » viendra confirmer.

En réitérant son propos et en appuyant sur certains éléments, Tackian donne à son histoire un réel intérêt, qui ne serait jamais survenu à la simple lecture du premier tome. Et on commence à suspecter le bonhomme de nous avoir conduit exactement où il voulait. En effet, l'analyse par le lecteur des éléments successifs prend l'apparence d'une attitude réelle, et l'hésitation face aux événements de la première histoire serait alors à rapprocher d'une certaine incrédulité. Comment croire qu'on a bien vu la dame blanche quand ce n'est qu'une seule fois, rentrant de boîte un peu éméché le vendredi soir et que la voiture va vite. Comment continuer à douter quand le vendredi suivant, à la même heure, moins éméché et moins rapidement on la voit nous faire un bras d'honneur pour refus de priorité à droite. Ainsi, Tackian semble procéder. Les éléments du premier tome pouvaient s'expliquer sans verser dans le Cafteur
Cafteur
paranormal et c'est ce qui décevait le lecteur dubitatif. Ici, la répétition des événements, même ceux moins chargés de symbole, révèlent un ancrage assumé dans le fantastique. Cela consisterait à se dire qu'on a bien vu ce qu'on a vu, alors inutile de douter.

L'histoire se développe sur plusieurs niveaux de symboles, ce qui démontre une certaine capacité de synthèse. Attachant son récit à la réalité de Sangatte, pour renforcer la réalité du trait d'Urgell, déjà commenté dans la critique du livre un, Tackian parvient à inventer une histoire à rebondissements, ornée d'une mystique particulière. Se rapportant allègrement à la Bible, il ne se contente pas de faire des références évangéliques faciles, mais va plutôt chercher dans ses fondements, de ceux qui inspirèrent le contrat social, la justice et le message d'équilibre dans un monde peuplé d'hommes de bonne volonté. Ainsi, il utilise le thème réaliste des sans-papiers, chassés de pays où règnent la guerre ou la misère, pour en faire une fois de plus les victimes consentantes de ce qui semble de plus en plus s'affirmer comme une figure allégorique du mal, à savoir le « Maître », qu'on pourrait bien croire n'être qu'une apparition destinée aux seuls élus. De même, il convient de repérer l'utilisation privilégiée de l'eau, qui porte les cadavres dans les deux tomes, donne son titre au tome un et dissimule celui du tome deux, et habille les théâtres d'apparition des forces obscures. Cette eau dont la force symbolique se trouve dans nombre de croyances, de la trinité celte au culte des églises, est le plus souvent absente des épisodes oniriques, conférant à ceux-ci une identité de zone neutre où la vérité n'est pas entravée par le poids du discours que contient le dogme.

Bref, en appuyant sur ses symboles et répétant son message, Tackian se hisse subitement au niveau de la paire Urgell/MAMBBA et se rit bien de nos hésitations passées, lesquelles ont tout l'air d'avoir été provoquées. Continuant sur sa lancée, la troupe franco-espagnole est en train de construire une série capable de bâtir sa mythologie sur notre actualité, mythologie noire et effrayante, que la médiocrité du quotidien dont elle s'inspire rend encore plus inquiétante.