6/10La XIe plaie - Tome 1 - “Et les eaux du fleuve se changèrent en sang…”

/ Critique - écrit par athanagor, le 29/04/2008
Notre verdict : 6/10 - Ça va saigner ! (Fiche technique)

C'est avec une histoire malheureusement assez peu originale que nous découvrons avec plaisir le trait de Joan Urgell.

Michelle Krachek, profiler à Interpol, a un don certain pour dénicher les montagnes de cadavres que les assassins européens sèment par mégarde à leur suite. Elle dispose pour cela d'un sixième sens dont elle se passerait bien, car il se manifeste principalement dans ses rêves, et il s'agit rarement d'histoires de chef comptable. Alors, quand la brigade fluviale, en faisant le ménage dans la Seine, tombe sur plusieurs sacs d'os sanguinolants, on se tourne naturellement vers elle. Cette macabre découverte faisant écho à un autre charnier découvert 6 mois plus tôt à Prague et les os appartenant principalement à des espèces en voie de disparition, bien que quelques uns soient humains, ça sent le meurtre rituel à plein tarin. Pour confirmer cette ficelle, on rajoute sur des fragments d'os l'inscription E7 : 14-25, faisant référence à un passage de la Bible, « Les plaies d'Egypte », dont la première est le changement des eaux du Nil en sang. Alors tremblez ouailles futiles et courez vous réfugier en vos églises, car la fin est proche quand une sorcière douée du don de seconde vue est la candidate désignée pour sauver l'Homme de ses péchés.

Nous voici donc face à une histoire qui, comme beaucoup, prend la Bible pourPff... elle est à perpét' cette boucherie.
Pff... elle est à perpét'
cette boucherie.
inspiration principale. Que seraient donc nos soirées au coin du feu sans ce best-seller, on se le demande. Mélangeant des concepts apocalyptiques, du militantisme Greenpeace édulcoré et de la protestation anti méchants nazis (qui, si on compte bien, viennent juste après la Bible en termes d'inspiration) cette histoire atterrit finalement dans la facilité à laquelle l'étendue des concepts mis en cause la destine. Encore une fois, on tombe face à des salauds de puissants-de-ce-monde qui se battent les noix sur le sol de ce qui peut bien advenir de la planète, et cherchent à tout prix l'expérience ultime, en faisant bien sûr ce qui est rigoureusement interdit au commun des mortels. Mais comme ils sont très riches, on leur passe tout, et vous pouvez râler ça change rien. Bref, les gens très riches sont très vilains, et on viendra nous confirmer, à n'en pas douter, qu'ils sont tous satanistes dans l'un des prochains tomes de la série. L'histoire ne revêt donc aucune espèce de surprise ni d'intérêt. La seule chose qui saurait éventuellement la sauver serait un plongeon plus assumé dans le surnaturel, mais pour l'instant cette option reste évoquée du bout des lèvres.

Ceci étant dit, tournons-nous vers l'illustration et reconnaissons le talent de Joan Urgell, dont c'est la première réalisation. Exécutant un dessin façon commerce de proximité, option boucherie/triperie, il offre un trait perturbé et dérangé, teinté d'une réalité qui rend les deux premières caractéristiques encore plus inquiétantes, comme le sujet qu'il est chargé d'illustrer. Les scènes de rêves sont particulièrement saisissantes et rappellent, sans pouvoir affirmer que cela constitue les véritables inspirations d'Urgell, les passages parallèles de Silent Hill, les scènes Y'en a un peu plus, j'vous l'mets quand même !
Y'en a un peu plus, j'vous
l'mets quand même !
oniriques de Dreamscape et certaines planches de la suite de comics Hellraiser. De plus, et cela fait du bien, les protagonistes ne sont pas désespérément beaux, ne kiffent pas les Bisounours à toutes les heures du jour et de la nuit ; ils ont mal et ils ont peur, et si cette peur nous devient intelligible ce n'est pas par le biais de l'histoire, mais bien par ce que le dessin nous met dans la gueule. Sans pousser dans la terreur extrême, c'est cette culture de la médiocrité de toutes choses qui transcende l'expression picturale de cette BD, et qui, la rapprochant ainsi d'un quotidien décevant, la rend plus effrayante, en rendant tous les événements dépeints comme encore plus probables. Servant malheureusement une histoire faible à l'intrigue convenue, il parvient néanmoins à la galvaniser, encourageant le lecteur dans une curiosité bienveillante à l'égard du tome 2, car cette fois, ce n'est pas l'histoire qui nous intéresse mais bien sa représentation.

N'oublions pas cependant de noter que la deuxième plaie relatée par la Bible s'appelle « Les grenouilles », pour attendre encore plus l'auteur Nicolas Tackian au tournant. Ce sera du quitte ou double.