7/10Voyage aux ombres : un mythe revisité

/ Critique - écrit par athanagor, le 31/05/2011
Notre verdict : 7/10 - Orphée de Troy (Fiche technique)

Tags : ulysse odyssee monde troy mythe livre jean

Sur une reprise orientalisée du mythe d’Orphée, les auteurs brodent une réflexion sur des thèmes sérieux, mais d’une manière un peu trop rigolarde pour être réussie.

S’il est une chose qu’une jeune fille ne doit pas faire dans le Darshan, c’est bien du théâtre. Dyssëry peut en parler. Le simple fait d’avoir voulu en faire lui a valu une sévère correction de son père et des pleurs incessants de sa mère. Et pour ce qui est du reste du village, désormais, elle ne vaut guère mieux qu’une putain. Quelle chance inespérée alors que Phorée, le plus riche héritier du royaume, lui ait demandé sa main. Cependant, Dyssëry n’est pas si enthousiaste. Ceci dit, le débat n’est pas tellement possible. Alors, devant l’inéluctabilité de son destin, elle se suicide le soir de son mariage. Mais morte rien ne s’arrange, car il faut bien vivre dans l’autre monde, et si l’on ne veut pas perdre son âme, il faut être sur ses gardes. Et puis qu’est-ce que c’est que ces manières de se suicider la nuit de ses noces ! Phorée, pour lui apprendre ce que c’est qu’être une bonne épouse, va aller la rechercher dans le val des ombres.

Utilisant le monde créé à l’occasion des aventures de Lanfeust, et déplaçant l’action dans le Darshan voisin, les auteurs se donnent ici la possibilité
DR.
de raconter leur histoire dans un monde neuf, régi par ses propres règles, mais qui reste familier. Ainsi, utilisant les références esthétiques du Japon médiéval, ils créent tout un système de croyance, appuyé sur des us et coutumes, des légendes et une histoire particulière, propres à ce continent. Ceci leur permet d’orienter leur propos, en mettant en scène des situations ayant trait à la condition féminine, à l’arrogance de la réussite sociale, et à la capacité à écouter et identifier ses sentiments. Mais surtout, ils fabriquent tout un système religieux, de ses fondations à ses conséquences, qui pose d’une façon assez maligne la question des croyances, de leurs origines humaines et de la diversité qui en découle. De la même façon que Matt Stone et Trey Parker décrètent, dans South Park, que ce sont les mormons qui ont raison et que, pas de bol, les autres vont en enfer, Arleston, Alwett et Augustin construisent un au-delà dont les éléments constitutifs dépendent étroitement de ce que les vivants croient devoir y trouver. Bref, le paradis, c’est exactement comme on se l’imagine, et l’enfer c’est les autres.

Pour illustrer cette histoire, le trait d’Augustin est tout à fait à son aise. Rondouillard, mobile, assez comique mais capable de prouesses esthétiques d’une dignité confondante, elle offre au récit un écrin à sa mesure. De plus, l’utilisation de couleurs pastels, devenue rare, en plus de nous plonger dans un univers particulier où la lumière serait différente, rappelle des moments d’onirisme sucré
DR.
qui hantaient certains moments de la BD des années 80. On pense à Aria, Olivier Rameau et d’autres interventions du Journal de Tintin qui utilisaient ces tons pour illustrer la magie et le rêve.

Malgré ces très bon points, l’album pêche par excès de déconne. Le ton rock’n’roll un peu déjanté qui avait fait les riches heures des aventures de Lanfeust ne semble pas aussi pertinent ici. La collaboration avec Alwett avait permis à Arleston, dans Sinbad, de maintenir cet esprit rigolard en toile de fond, pour un résultat des plus heureux. Ici, cela a tendance à déborder et à impacter le traitement pourtant intéressant des thèmes. De plus, la conclusion est déroutante et difficile à appréhender. Elle a tout l’air de vouloir nous dire une dernière chose mais, avec cet esprit farceur elle donne plus l’impression d’être un pis-aller. On regrettera donc cette envie d’être drôle à toute force qui finit par nuire au propos et par gâcher un petit peu les bons éléments en présence.