On vit une époque formidable

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Reiser ne sait pas ce qu'est l'autocensure et se moque allégrement de la connerie humaine. Un album représentatif de son style inimitable qu'il faut avoir en sa possession.

On vit une époque formidable, où les politicards veulent « éduquer le client » et abolir la prostitution, où les pauvres sont de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches mais tout cela n’est pas remarqué ou volontairement ignoré par un peuple décadent gavé de télé crochet, on ne parle que de la hausse de la TVA pour mieux oublier celle du prix de l’essence qui a depuis longtemps dépassé le litre à 10 francs, la censure n’existe plus officiellement mais un état de fait plus sournois fait appel à l’autocensure et la morale de chacun dans une parodie de libre arbitre et de responsabilité pour juger le monde et fumer est devenu un crime contre l’humanité... Bref, la liste est longue dans ce chaos frileux que l’on voudrait nous faire croire idyllique et même si les trublions de Charlie Hebdo et d’autres continuent leur œuvre bienfaitrice de dénoncer avec humour les travers du siècle, il n’y a plus de Reiser capable en deux ou trois traits bien placés de faire jaillir une émotion.

Brève de comptoirLa première édition de cet album date de 1973 soit il y a près de 40 ans, et pourtant il conserve une telle modernité et une telle force que ça en devient inquiétant. En 40 ans, les gens sont toujours aussi cons et on n'est toujours pas sorti de la crise mais on continue à rire et à faire des conneries parce qu’à part ça et le sexe, il n’y a pas grand-chose alors autant en profiter de toute façon on n’a plus rien à perdre. Reiser, avec son trait si particulier et son humour grinçant à cela de magique qu’il est révolutionnaire sans être violent, il réveille les masses assoupies d’un grand coup de pied au cul énergique qui, s’il surprend au début n’en est pas moins salvateur par la suite.

Chaque dessin de Reiser est une claque, que ce soit des histoires d’une page ou plus ou simplement une vignette. Dès le début, on entre de plein pied dans son
Road trip caravaneunivers qui n’est finalement que le quotidien des français à travers le prisme du comique. Pas d’échappatoires possibles, Reiser va droit à l’essentiel, qu’on le veuille ou non et son cynisme humaniste est une bouffée d’oxygène dans ce monde policé. Il y a donc deux façons de faire chez Reiser. La vignette directe avec un slogan proche du Canard enchaîné, la phrase choc digne d’un mauvais tabloïd mais tournée en
Famille heureusedérision du genre, « Travaillez plus, gagnez moins, le miracle français » qui a d’autant plus d’impact avec notre président actuel. Les histoires plus longues reprennent les thèmes favoris de l’auteur soit l’écologie, l’absurdité de la société capitaliste, les différences sociales, les dérives du clergé, mais aussi des histoires juste bêtes et méchantes qui font du bien. Chez Reiser, quand deux autostoppeurs patientent trop longtemps au bord de la route, ils s’introduisent subrepticement dans une caravane et se vengent dans la bonne humeur soit en pillant le frigo, en vomissant, en baisant puis en chiant dans les lits parce qu’il « faut faire ça au moins une fois dans sa vie »

On vit une époque formidable est vraiment représentatif du travail de l’auteur, irrévérencieux et humaniste, avec ce regard lucide et malgré tout bienveillant sur la société. En se posant des milliers de fausses questions, Reiser a su trouver de vraies réponses et continue à nous faire réfléchir et à nous faire rire en même temps. Son humour décapant perdure tout comme les problèmes qu’il évoque mais il  nous reste toujours la drogue et l’alcool pour continuer les conneries, et bien sûr, ses albums toujours aussi merveilleux. Une réédition à avoir absolument chez soi si ce n’est pas déjà le cas.