8.5/10Les Vaincus

/ Critique - écrit par iscarioth, le 26/06/2007
Notre verdict : 8.5/10 - Malheur aux vaincus (Fiche technique)

Chant du cygne exécuté avec réflexion, poésie et humanité, Les vaincus se démarque par sa réalisation graphique époustouflante

En nous présentant cet ouvrage, Dargaud nous demande d'oublier notre principale référence bédéphilique en matière d'empire inca ; l'album de Tintin, Le temple du soleil. On y pense, à la première vignette, représentant une statue rappelant le terrifiant Rascar Capac. On y pense, mais sur 168 pages de lecture, c'était bien la seule et unique fois.

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Apoo - Les vaincus
L'album s'ouvre et se conclut sur le constat d'une Amérique du sud dévastée, d'une civilisation anéantie, et de ses anciens habitants effondrés. « Les larmes de tristesse coulaient de leurs joues, en contemplant le présent... et en se rappelant le passé » rapporte Frantz Duchazeau des écrits d'époque de Pedro Cieza de Léon. Le sujet de ce livre, c'est bien l'extinction de la civilisation Inca, l'une des plus passionnantes qui soient, qui s'est crue abandonnée des dieux, face au colon espagnol.

Les vaincus est une espèce de road comics, ce qui est difficile à croire, je vous l'accorde, quand on parle d'un temps où le moteur était encore à des centaines d'années à venir. Un road comics de coursier, basé autour du personnage d'Apoo, le messager, le coureur, qui parcourt le Pérou pour délivrer, paniqué, le terrible message de l'arrivée dévastatrice des « dieux blancs ». Apoo incarne la civilisation Inca, sa chute et même son autocritique. Une civilisation qui voit d'abord mourir ses parias, ses sages exclus, qui se laisse ensuite aller à l'hésitation, à la peur de l'inconnu, à la déchéance et à la désorganisation. « Nos dieux nous abandonnent ». L'empire s'effondre si vite que peu veulent y croire ou même envisager cette pensée comme rationnelle.

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Un noir et blanc charbonneux
Au fil de sa course, Apoo ouvre les yeux sur la barbarie des gens de son peuple : le sang des siens versé, les sacrifices, un empire qui ne vaut pas forcément moins barbare que l'envahisseur... En somme, Les vaincus est la parfaite illustration d'une histoire collective, racontée par le prisme de la pensée et de l'aventure individuelles. Duchazeau crée là un personnage auquel il est difficile de ne pas s'attacher. Un être frêle, chétif, au regard triste, éveillé, alerte... profondément humain. Le tout avec un parti pris graphique original. Les vaincus est entièrement réalisé « à la suie », « au charbon ». Avec ce trait épais et lourd, Duchazeau représente aussi bien des expressions faciales nuancées que des grosses masses montagneuses ou une bourrasque pluvieuse.


Chant du cygne exécuté avec réflexion, poésie et humanité, Les vaincus se démarque par sa réalisation graphique époustouflante, au caractère fort et bien visible, dès la première de couverture. A ne pas manquer.