6.5/10Trois Christs

/ Critique - écrit par athanagor, le 08/11/2010
Notre verdict : 6.5/10 - Au nom du Fat Man, du Little Boy et du St Esprit (Fiche technique)

Tags : trois christs livre mangin histoire bajram valerie

Trois histoires distinctes avec des éléments identiques, c'est le défi de cette BD.  Mais relevé à moitié, celui-ci n'en sera pas le principal atout.

Voilà une BD ambitieuse qui cherche à se développer à partir d'un concept audacieux. Celui-ci est assez simple en fait, mais comme c'est souvent le cas, cela contribue à en faire un challenge assez balèze. Le principe : avec le maximum de bulles et de cases identiques, parvenir à raconter trois histoires, qu'on ne pourra pas, vu leur nombre, qualifier de diamétralement opposées, mais bon... l'esprit est là. Et pour jouer le jeu à fond, un système d'annotation est mis en place pour permettre au lecteur de retrouver les cases et les textes dans les trois histoires. Miam, miam, voyons voir ce que cela donne ! Il est d'ailleurs permis d'avoir d'assez bonnes espérances étant donné que les auteurs sont les créateurs de la maison
Quadrants, qui produit régulièrement des opus de qualité. Pourtant, et peut-être vous en doutiez-vous, les espoirs n'étant valables que tant qu'il ne se confrontent pas à leur réalité, on ne peut s'empêcher d'être un peu déçu.

Alors oui ! c'est chaud de faire une BD sur ce principe, mais il ne faut pas que ce parti-pris de départ nous aveugle au point de laisser passer ce qu'on ne tolèrerait pas dans une autre. Il conviendra même de juger, en premier lieu, si le défi est honnêtement relevé. Et là, on ne peut s'empêcher d'être dubitatif, car en fait d'utilisation des mêmes éléments, il conviendrait plutôt de parler d'utilisation des mêmes références. Parfois, c'est le sujet d'un texte qui est repris et la valeur en devient alors anecdotique. Un peu comme de dire que « j'ai troussé la femme du boulanger » et « la femme du boulanger ma tendu une baguette et deux brioches » sont la même chose. Parfois, c'est une simple interjection, comme « Non ! » qui est soigneusement annotée et qu'on nous prie de retrouver dans les deux autres histoires, mais attention !... pas au même endroit. Ensuite, on constate que les cases ne sont pas réutilisées à l'identique. En fait d'identité, il faut surtout comprendre qu'il s'agit du même plan selon le même angle de vue, dans lequel on ne retrouvera pas toujours les mêmes personnages, ou alors dans des positions différentes. Bref, ça sent un peu l'effet d'annonce et le tour de passe-passe pas très réussi. Ajoutons à cela que l'utilisation forcée de certains textes et images nuit à la fluidité de chacune des histoires, plaçant les protagonistes dans des positions étranges vis-à-vis de la situation, leur faisant dire des choses pour on ne sait quelle raison avec l'air de penser à autre chose.
Par exemple, le chevalier se faisant essuyer les pieds a l'air très en colère, et la première fois il l'est vraiment. Mais la seconde fois, avec l'air toujours aussi furibard, il tient un discours affable. On sent donc le même genre de poids des contraintes que s'imposent les auteurs que celui qui fait de La disparition un livre pas toujours très fluide.

C'est donc à une lecture assez étrange et saccadée que nous convient Mangin et Bajram, mais relevant leur pari avec plus ou moins de bonheur, ils parviennent quand même à mettre du piquant dans l'affaire. Très honnêtement, les deux premières histoires ne sont pas intéressantes. Sorti du fait historique, qu'on les remercie de porter à notre connaissance, les deux premières hypothèses et leurs déroulements sont devinées assez rapidement, vendues qu'elles sont par leurs titres. Il restera néanmoins la troisième, qui jouit d'un excellent esprit et qui brode une délicieuse histoire. Ici, peu importe la justesse des références et leurs situations, le simple fait de retrouver des éléments des deux premières dans celle-ci est un vrai plaisir. Et même si cela ne dénote pas une grande imagination, cela montre une belle audace, d'autant plus rafraîchissante que le sujet de départ ne semble pas s'y prêter.

C'est donc un semi-échec qu'il faut, en toute bonne foi, pointer. Cependant, que cela n'empêche pas de voir que la bande dessinée peut parfois se mettre dans des situations contraignantes pour forcer sa créativité et explorer ses limites, comme se doit de le faire tout art cherchant à évoluer. Cette tentative particulière, partiellement infructueuse, peut tout de même s'enorgueillir d'avoir posé et tenté de relever un défi, en cherchant à s'exprimer dans trois styles différents.