7.5/10Sciences Visions

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 06/04/2012
Notre verdict : 7.5/10 - De la science à la conscience (Fiche technique)

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La Novela, sous-titré « Le festival des savoirs partagés », est un événement annuel organisé par la ville de Toulouse permettant la rencontre entre les métiers de la recherche et un public en quête d’exploration, d’expériences et de découvertes. Si la manifestation consiste en grande partie en une série d’expositions, de spectacles ou de conférences, l’édition de 2011 a, en supplément, proposé à six auteurs de BD de collaborer avec six chercheurs spécialisés dans des domaines très différents. De cette rencontre, devait naître une suite de fictions courtes, avec pour seules consignes de produire huit planches… et d’échapper à un didactisme ronflant. La science devenant ainsi davantage un moyen qu’une fin en soi. Le résultat se retrouve présenté sous la forme d’un recueil édité par La boîte à bulles, regroupant les six historiettes et nous offrant les visions personnelles et ambivalentes de six artistes inspirés de six scientifiques.

Comme bien souvent dans les ouvrages collectifs, Sciences visions est un album hétéroclite et inégal. Tant par la nature de ses sujets (chaque récit traite de thèmes très divers) que par le ton adopté par les auteurs/ illustrateurs. Mais bien que prenant leur source dans des données ou, plus évasivement, des univers rationnels, on relève toutefois chez chacun le même désir de s’affranchir d’un aspect purement explicatif ou démonstratif. L’enjeu est plutôt de l’ordre de l’onirique, du fantaisiste, du témoignage.

Sciences Visions
Illustration de Bob, issue de DreamcatcherLes deux premières nouvelles investissent le terrain de l’imaginaire. Ainsi le Dreamcatcher imaginé par Bob, inspiré par l’étude de Marie Lothon sur les mouvements et échanges d’énergie dans la première couche d’atmosphère, donne lieu à une sorte d’épisode un peu mystique. S’appuyant davantage sur une forme d’incertitude que sur le phénomène scientifique, il est aussi l’occasion d’invoquer une légende amérindienne tout en pointant du doigt le comportement humain à l’égard de la Nature. Le graphisme sensible, enrichi par les brumes et le geste spontané de l’aquarelle, lui donne un cachet mystérieux et ouvre la porte à plusieurs interprétations. Très marquant lui aussi par la force de son trait, MET est né d’après les travaux d’Etienne Snoeck sur les nanosystèmes magnétiques (plus clairement : à l’échelle du miniature). L’auteure Claire Pétry utilise une trame ciselée blanche sur fond noir qui rappelle un peu Vincent Sardon. Tout en donnant à ses personnages et décors une rondeur et une lumière proches de l’illustration pour enfants, elle choisit logiquement de représenter un périple tumultueux opposant deux mondes et deux échelles : l’une minuscule et l’autre humaine. Le résultat est poétique et intrigant, on pense à des sujets semblables sur d’autres supports : Arrietty ou Gulliver.

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Illustration de Claire Pétry, issue de MET
Les deux histoires suivantes versent davantage vers l’humoristique, malgré deux univers et deux propos très distincts. En regard des recherches de Sylvie Rocques en astrophysique et planétologie, l’auteur Ysha propose Rencontre du 3ème type. Comme son titre l’indique, la saynète narre la confrontation entre un extraterrestre et… un chat. La créature pensant que le félidé est le principal représentant de la planète, s’ensuit alors une course-poursuite ponctuée de blagounettes et autres quiproquos. Malgré une idée intéressante, le graphisme est parfois maladroit et la composition des planches, au-delà d'un réel effort de dynamisme, manque par endroit de lisibilité. En revanche, l’épisode écrit et dessiné par Jacques Lerouge, Une enquête du commissaire Bonhomme, propose une aventure loufoque, à la limite de l’absurde, et qui sait se montrer haletante. D’apparence policière, elle est l’une des seules à évoquer de véritables notions scientifiques, tirées des études en mycologie du professeur Louis Chavant. Les personnages et situations incongrus permettent toutefois aux délires irrationnels de l’emporter sur le rationnel.

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Illustration de Cyrille Pomes, issue de In
Memoriam
Les deux derniers récits ont une tonalité plus authentique, et traitent d’une forme de ressenti qui s’éloigne presque de la science. In Memoriam, écrite par Cyrille Pomes d’après les études de Laure Saint Aubert sur la maladie d’Alzheimer, propose une sorte de journal de bord, permettant à son personnage principal de se souvenir. Un graphisme qui tend vers le croquis, une ligne nerveuse et irrégulière, et une colorisation douce mais voilée, tout cela s'apparente à un témoignage doux-amer, empreint de nostalgie et de doutes. Le texte fluide, entre le solennel et le conversationnel, touche par la justesse de ses mots et sa calligraphie manuscrite. La toute dernière proposition du recueil est, semble-t-il, la plus saisissante : Redécouvrir le geste a été inspiré à l’auteur/ illustrateur Jules Stromboni par les travaux de l’archéologue-préhistorien Nicolas Teyssandier. En l’espace de huit planches muettes, il parvient à construire une véritable passerelle entre le présent et le passé. Dans sa représentation d’un même paysage à 20 000 ans d’intervalle, la transition est imperceptible entre le travail de « l’artisan chercheur-archéologue » et celui de l’artisan-chasseur. Mais le point le plus remarquable de cette historiette est sa facture : la fusion entre fond et forme. À la manière des peintures rupestres, toutes les planches de cette mini-bande dessinée ont été réalisées avec les matières premières découvertes pendant les fouilles du terrain représenté. Ce qui donne aux illustrations leur texture rugueuse, sensuelle et expressive, leurs tonalités brunes, ocres ou rouges. Un récit simple en apparence, mais chargé de sens en somme.

Projet très riche et donnant vie à des saynètes diversifiées et inégales, Sciences Visions est l’occasion de désacraliser et de rendre moins hermétiques certains domaines de la recherche scientifique. Le recueil a le mérite d’attiser la curiosité des néophytes sans apporter, volontairement, d’éclairage théorique sur les sujets qu’il traite. Un complément idéal, puisque libre et fantaisiste, aux conférences et expositions plus pointues de la Novela. Le mélange de genres permet également d’entrer dans les univers très personnels de chacun des auteurs et invite à aller découvrir leur travail de manière plus approfondie.