Sandman -
Bande Dessinée / Critique - écrit par Alcaeus, le 26/03/2008 (Tags : sandman gaiman neil comics histoire scenario dessin
Une des oeuvres majeures de la bande dessinée américaine, autant par sa richesse scénaristique que par son graphisme soigné. Une référence du genre qui ne dépareille pas aux côtés des travaux d'Alan Moore.
Publié à l'origine dans la collection Vertigo de chez DC Comics (qui a fourni des références comme V for Vendetta, A History of violence ou Hellblazer), The Sandman est une série que l'on doit au fameux Neil Gaiman que l'on ne présente plus dans le milieu de la bande dessinée anglosaxonne. Les aventures de Morpheus, le personnage principal, sont retracées au long de 75 comics rassemblés en une dizaine de volumes en France chez Delcourt, puis chez Panini Comics, les 20 derniers étant encore inédits. Il s'agit là d'une oeuvre majeure qui a produit de très nombreux spin-offs (dont Lucifer, Sandman Mystery Theatre et The Dreaming sont les meilleurs représentants) et qui est la source de très nombreux prix pour son auteur que je me permettrai de ne pas détailler ici. Morpheus, comme nous l'avons dit, est le nom du personnage principal mais il en porte, en vérité, un nombre incalculable: "Dream", le rêve personnifié, le "marchand de sable", "Oneiros", et son histoire ne manque pas d'envergure car il est le Rêve incarné, un des sept éternels qui soutiennent le monde.
Le récit se découpe en 10 périodes formées par l'intégralité des comics, en excluant quelques hors série qui ne sont pas pour autant négligeables. Dream a été enfermé par un sorcier au plus profond de son manoir anglais, et ce pendant des dizaines d'années. Une fois sa liberté retrouvée, il se trouve dans une situation délicate: son royaume, le Rêve, s'est effrité en son absence; certains habitants en ont profité pour rejoindre le monde des mortels (comme le terrible Cauchemar qu'est le Corinthien) et l'endroit est laissé à l'abandon. Cette absence a causé de nombreux déséquilibres, dont les effets se perçoivent tout au long du comics. Sa tâche sera multiple, il devra à la fois retrouver ses objets de pouvoir qui sont les marques de sa condition (son masque, sa poche de sable... ), rebâtir son royaume et reprendre sa place dans les affaires humaines aux côtés de ses frères et soeurs les éternels.
Original, Sandman l'est à plus d'un titre.
Par ses personnages tout d'abord: comme dans beaucoup des titres de la collection Vertigo, il n'y a là que peu de rapport avec l'univers DC. Au détour d'une
Dream, une chevelure
en provenance des 80saventure on croise John Constantine ou J'onn, ou quelques autres, mais dans l'ensemble les personnages sont de pures créations de Gaiman. Les éternels (Destiny, Death, Dream, Destruction, Desire, Despair et Delirium) sont autant de facettes de l'existence et de concepts incarnés. Ils possèdent tous leur caractère visuel propre qui correspond à leurs attributions; on notera l'excentricité des bulles qui forment les paroles de Delirium, tout est fait pour marquer au plus le symbolisme des personnages. Ils sont entourés d'un nombre impressionnant de personnages secondaires, figurants pour un unique titre ou récurrents, au nombre desquels figurent beaucoup de références aux folklores culturels (Abel et Cain, Lucifer, mais aussi Shakespeare, Orphée, Bast, et tant d'autres encore !). Gaiman fait preuve d'une bonne connaissance de ces emprunts , ce qui ne fait qu'ajouter au charme des portraits qui en sont faits par les illustrateurs successifs.
L'histoire en elle même est digne d'intérêt. De la libération de Dream à la fin de la série, le récit est entretenu d'intrigues principales renforcées par de très nombreuses aventures secondaires dont on ne découvre la clé que bien plus tard avec un soupir de compréhension. Gaiman fait réellement ses armes sur The Sandman et il y explore les nombreuses possibilités de la narration, s'échappant parfois de la trame principale pour retracer un événement obscur de la vie de
Que penseriez-vous si la
Mort était votre soeur aînée ?Dream, certaines de ces échappées n'ayant d'autre intérêt que la beauté du conte (Pour l'anecdote, le #19, A Midsummer Night's Dream, est le seul comics a avoir reçu un World fantasy award, le lendemain de cette récompense on s'assurait que le réglement interdise de nommer un comics). Et conter une histoire, c'est vraiment ce que fait le mieux Gaiman, on prend un réel plaisir à suivre le fil de la narration et le développement est tel qu'on se surprend à éprouver de l'empathie pour les personnages.
A lire cette critique, on pourrait imaginer que je néglige l'aspect purement visuel du comics. The Sandman est avant tout une oeuvre très bien écrite mais sa valeur est magnifiée par ce que les dessinateurs successifs ont sur lui donner un style propre à l'univers et qui garde une cohérence générale au fil du temps (à quelques rares exceptions). Il est un peu vieilli maintenant, mais il garde un fort pouvoir évocateur et certaines planches sont pleines de poésie. Le hors série Endless nights est là pour le prouver, il est purement magnifique. On notera les superbes couvertures qui réussissent à retranscrire le symbolisme que développe Sandman, elles procèdent d'un onirisme abstrait qui encadre parfaitement l'intrigue.
The Sandman est une balade qui nous entraîne au coeur d'un univers riche en intrigues et en poésie, vous ne vous sortirez plus d'un rêve sans songer avec plaisir aux histoires de Dream et de sa curieuse famille. Les spin-offs sont également intéressants même si la touche de Gaiman leur manque, particulièrement Sandman Mystery Theatre qui échappe tout à fait à l'oeuvre originale pour faire ressurgir des archives de DC un héros improbable (un Bruce Wayne plus "humain" ) dans des aventures très "pulp". L'espoir d'une adaptation cinématographique, dont les projets se multiplient depuis les années 90, a été relancé il y a peu lorsque Gaiman a exprimé un vif intérêt pour ce projet à la GenCon de 2007, seul le temps nous dira s'il se présentera un réalisateur assez talentueux pour le contenter.
Faites de beaux rêves.