9/10Au revoir Monsieur

/ Critique - écrit par athanagor, le 27/11/2008
Notre verdict : 9/10 - ... et merci Madame. (Fiche technique)

Tags : monsieur revoir claudel friant philippe you goodbye

Les auteurs d'Achevé d'imprimer reviennent avec ce polar familial sur fond de Provence, et c'est tout simplement une leçon. Etourdissant.

Augustin est un jeune garçon de la campagne, celle du sud, de la Provence où résonne cet accent si caractéristique dont les Parisiens se moquent à défaut de savoir l'imiter. Sa maison, c'est cette bastide où les vendanges rythment l'ordre des saisons, avec en contrepoint l'arrivée et le départ des travailleurs saisonniers. Sa familleGrand-mère, maman, papa
Grand-mère, maman, papa
, c'est son père Maurice, trop porté sur la bouteille pour ne pas être inquiétant ; sa mère, trop discrète et fragile pour offrir un sentiment de sécurité ; mais c'est surtout sa grand-mère, Geneviève. Cette grand-mère qui regarde son gendre avec mépris et sa fille avec dédain, mais qui a pour son petit-fils toutes les attentions du monde. Et ça Augustin le lui rend bien. Il ne sait porter à sa grand-mère qu'un amour inconditionnel et un regard admiratif de chaque instant, et il a toutes les raisons pour ça. Non seulement elle lui donne un véritable sentiment d'existence mais c'est également elle qui gère la bastide, de bout en bout, à l'aide d'Hippolyte, le maître de chais, et malgré son fainéant de gendre.

Alors, quand Geneviève chute dans l'escalier et y trouve la mort, c'est véritablement tout l'univers d'Augustin qui s'effondre. Non seulement il perd l'être qu'il chérit le plus au monde, mais sa vie de liberté dans cette campagne tant aimée est égalementLe gendarme
Le gendarme
matière à débat, son père ayant résolu un départ sur Paris après la vente de la bastide. Tous ces changements, toute cette peine pour un instant malheureux dans cette escalier de granit, où sa grand-mère n'était peut-être pas seule.

C'est une sombre histoire que celle que nous racontent Mabesoone et Mau, déjà auteurs d'Achevé d'imprimer. Une histoire de famille mal réglée et triste, mais une histoire de famille néanmoins. Dans cette Provence d'après guerre aux accents de Pagnol, c'est ainsi que se règlent les problèmes. Le scénario de Mau n'est pas seulement sombre, il est empreint du malaise que suscite le silence autour de toute l'affaire, malaise renforcé par une méfiance à l'égard des étrangers, ces gendarmes qui enquêtent sur l' « accident » et qui en définitive mettent leur nez dans une histoire qui ne les regarde pas. Dans cette atmosphère de secret, on suit un déroulement construit autour de cette enquête de gendarmerie, avec en permanence l'impression qu'on a mal compris. Malgré le fait que le lecteur soit le témoin de toute l'affaire, chaque page semble lui suggérer qu'il a mal vu et qu'il s'est trompé. Il en va ainsi jusqu'au dénouement, rapide et sec, nimbé d'honneur et de désespoir, qui nous empoigne avec tant de force que l'on sent son cœur se serrer.

De la grand-mère sévère mais juste au gendarme bourru à la gueule sillonnée, en passant par les travailleurs itinérants à l'allure aussi sèche qu'ils sont forts, la galerie Augustin et Hippolyte
Augustin et Hippolyte
de personnages est complète. Le contraste existant entre eux est aussi remarquable, de ce père aux mœurs éthyliques peintes sur son visage, aux cheveux gras et à l'haleine fétide, à la jeune Juliette, fille de la capitale venue travailler à la bastide, aux cheveux couleur de blé, qui suscite la convoitise respectueuse de tous ses collègues. Le mélange proposé de ces oppositions, jusqu'à celui existant entre la clarté d'un sud rural et la noirceur du trait monochrome de Mabesoone s'avère être un vrai choc dans la compatibilité inattendue qui en résulte. N'utilisant que l'encre noir, le talent est ici indéniable. La lecture provoque les odeurs, les ambiances, réchauffe au soleil des vendanges et enrhume sous la pluie subite et traitresse. Le mouvement, les humeurs, les flashbacks, les sentiments, tous résumés dans ces épars et rares coups de plume, sont l'expression d'une maîtrise totale qui envoûte et capture l'attention.

Incroyable ouvrage qui se dévore, se vit et se respire sans pouvoir s'en détacher, Au revoir Monsieur est tout à la fois une réussite complète et une leçon de BD, dans la maîtrise de son sujet, son déroulement et son exposition.