8.5/10Le Peuple des endormis - Tome 1

/ Critique - écrit par iscarioth, le 15/10/2006
Notre verdict : 8.5/10 - Grande aventure... à la sauce Tronchet (Fiche technique)

Le peuple des endormis, qui doit nous être conté en trois actes, a tout l'air d'être une réussite. Prévoyant, on réservera le point qui fait passer du très bon à l'excellence pour la sortie du deuxième tome.


Tronchet aborde un nouveau chapitre dans sa carrière. On l'a connu humoriste, gagman père des prestigieux loosers Raymond Calbuth et Jean-Claude Tergal (l'indétrônable). Plus grinçant encore avec les Damnés de la terre (Pauvres mais fiers !) ou encore La bite à urbain, Tronchet a ensuite changé de registre. En 2003, il commence à publier de nouvelles oeuvres dans la très prestigieuse collection Aire Libre de Dupuis. D'abord Houppeland puis Là bas, sur un scénario d'Anne Sibran. Ce dernier album connaît un très bon succès public et critique, Là bas marque un tournant. On ne change pas une équipe qui gagne, Sibran et Tronchet sortent un nouveau projet commun en 2005,
Ma vie en l'air, qui s'avère être une déception. On retrouve Tronchet en 2006, dans un ton toujours aussi dur, qui confirme les évolutions récentes.


Cinquième album de Tronchet pour la collection Aire Libre (collection millésimée, peu peuvent se targuer d'avoir autant réalisée pour elle), Le peuple des endormis nous présente une adaptation d'un roman de Frédéric Richaud, narrant les périples d'un jeune homme du 17ème siècle ballotté par la vie. D'abord élevé au régime de la terreur par une mère conservatrice et sadique, Jean passe ensuite sous la protection de son père, un empailleur, avant de s'embarquer dans un voyage vers le Sénégal. Tronchet colle ici au genre de la grande aventure, avec un album aux nombreuses péripéties, aux lieux et personnages foisonnants, comme l'indique la première de couverture. « Une épopée maritime dans la grande tradition des romans de Stevenson » indique assez justement le communiqué de presse. Dans le ton, pas de couleurs chatoyantes ni de vastes plans paysagers et photographiques. On retrouve les coups de pinceaux graisseux de Tronchet, les mêmes qui nous ont fort inquiété sur Ma vie en l'air. Que ce soit dans la pénombre d'une cave brunâtre, dans la fraîcheur d'une matinée portuaire ou la douceur d'une soirée africaine, les visages sont toujours burinés à la suie, fort en caractère et en épaisseur. C'était surtout le scénario qui avait mal contenté sur Ma vie en l'air. Avec Le peuple des endormis, Tronchet met en image une histoire aux antipodes, une histoire plutôt simple et humaine, qui déploie son humour et suscite l'engouement par des personnages hauts en couleur, le Marquis de Dunan en tête.


Les dialogues sont tout à fait soignés : « L'âme se pique d'éternité, quand la nature réclame l'inverse. N'aimez pas les femmes, Jean, mais désirez les comme on désire le soir une nourriture dont on connaît l'issue. Pour le lendemain, donnez à votre corps corruptible la chair périssable qui le sustentera... Variez les plats... » enseigne le Marquis de Dunan. La pensée occidentalo-centrée et ultra-chrétienne de l'époque est pleinement retranscrite. Petit bémol, une monotonie à tendance à s'installer à la lecture, de par l'agencement des planches. Tronchet fonctionne sur le modèle du gaufrier, avec trois lignes de deux cases à presque chaque planche. Ses plans sont généralement très serrés, une place assez mince est réservée au décor. L'album et son graphisme reposent en fait bien plus sur les jeux d'ambiance.


Le peuple des endormis, qui doit nous être conté en trois actes, a tout l'air d'être une réussite. Prévoyant, on réservera le point qui fait passer du très bon à l'excellence pour la sortie du deuxième tome. Après avoir lu la trépidante conclusion du présent album, on ne peut être qu'impatient d'avoir en main la suite !