Le Petit Prince
Bande Dessinée / Critique - écrit par Luz, le 08/10/2008 (Il était une fois un Petit Prince. Il était une fois une fleur, un aviateur, et un serpent. Il était une fois une planète plus petite qu'une maison, un ivrogne, un allumeur de réverbère, et un puits. Il était une fois un renard, un rire, et un roi. Il était une fois la terre, et l'humain. Il était une fois un Petit Prince.
Lundi matin, l'Empereur, sa femme, et le P'tit Prince...
Joann Sfar ne va pas nous réinventer ce petit, ni d'homme, ni d'E.T, il va suivre les lignes de Saint-Exupéry, et nous faire partager sa vision, sans prétention, mais avec envie. C'est parce que Sfar semble avoir un attachement particulier à ce conte que je me permets d'ailleurs de citer l'auteur original dans sa préface pour commencer :
« Je demande pardon aux enfants d'avoir dédié ce livre à une grande personne. J'ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j'ai au monde. J'ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J'ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a bien besoin d'être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l'enfant qu'a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace :
À Léon Werth, quand il était petit garçon »
Un conte écrit par une grande personne, dédié à une grande personne, remis en dessin par une autre grande personne ? Oui et non. Si on suit les dires de Saint-Exupéry, il ne s'agit que d'anciens enfants. Tout comme nous, lecteurs, si l'on veut se prendre au jeu, il faut laisser nos aprioris, nos jugements à trois francs six sous, et rouvrir de grands yeux. Ce qui parait facile pour certains, et bien plus difficile pour d'autres.
« Quoi ? Qu'entends-je ? Ils ont osé mettre le Petit Prince en bande dessinée ? Une œuvre littéraire ne devenant qu'un ramassis d'images ? » Oui, il existe bel et bien des gens qui pensent ceci, sans doute certains d'entre eux me liront, et je ne peux qu'être désolée pour eux. S'ils rougissent de honte, ce n'est pas trop tard, mais s'ils crient à la connerie, je m'excuse, oui, vraiment, car je trouve ça triste d'avoir le cœur vieux et fermé. L'auteur avait choisi d'accompagner son texte de quelques aquarelles épurées, ici Joann Sfar transporte ce texte dans des petites bulles, rendant la prose et les illustrations indissociables.
... sont venus chez moi, pour me serrer la pince...
L'univers de Sfar, et ses multiples lignes hachurées amènent ici, tout comme beaucoup de ses œuvres (Le chat du Rabbin, Le minuscule mousquetaire) une force personnelle à son dessin jusque dans le choix de ses couleurs, on ne peut qu'évoluer en même temps que lui dans des pages où la tristesse et le bonheur se rejoignent.
Un Petit Prince mélancolique, mais coloré tout de même, qui sort du paysage, comme s'il sortait de la page, avec ses grand yeux bleus, ses habits verts, ses cheveux d'or et son cache col qui lui cache le bout du nez, certes, mais pas assez pour qu'on l'aperçoive encore rougir. Il fait face à un humain mal rasé, l'habit triste, la cravate et le pantalon marron, aviateur, perdu, avalé par sa vie d'adulte, qui ne pense tout d'abord qu'à repartir chez lui, gagné par l'obsession de réparer son avion.
Le paysage se fait lunaire, on sait qu'on est sur terre, en Afrique, et pourtant on se voit ailleurs, bien loin de notre bonne vieille terre aigrie, la luminosité variant de l'orange au bleu, au violet, au gris... au noir. Le soleil se lève, le soleil se couche, les jours passent... Combien ? Pourquoi ? Le voyage semble durer des années, tout comme une heure. On est perdu. Loin de nous aider à poser les pieds sur terre, Joann Sfar nous perd d'autant plus dans les étoiles.
... mais comme j'étais parti, le petit prince a dit...
On s'attache étrangement encore plus au personnage et à son aspect enfantin en le suivant dans son voyage, image par image, curiosité par curiosité, sans rater les moments tristes, où les bulles deviennent plus banales, plus sombres, habillant tout juste le texte et les instants joyeux, où il sautille, court, rit. Les personnages nous apparaissent à la fois plus vivants, plus humains, avec de vrais traits de caractères dévoilant colère, tristesse, inquiétude, et fatigue, tout en nous démontrant justement à quel point ils sont originaux et étranges. Le dessinateur nous met en mouvement, nous donnant l'impression que l'on pourrait presque attraper le soleil par le coin de la vignette et le coucher.
La bande dessinée est remplie de clins d'œil à Saint-Ex, dévoilant des scènes identiques aux aquarelles de celui-ci, par exemple pour commencer ou pour terminer l'œuvre (le vilain boa, le paysage vide...) et un peu partout dans les planches (le Petit Prince sur le mur en ruine, ou s'écroulant sur le sable...).
Beaucoup ont tenté de rentrer dans l'univers du Petit Prince, et beaucoup se sont perdus en route, sans jamais réussir à trouver sa météorite. Avec cette bande dessinée, enfin on l'aperçoit au loin, et il nous prend par la main, pour nous aider à quitter notre carapace encombrante de grande personne. Une bande dessinée à lire, à offrir, que ce soit pour les grands, pour les petits, qui peut compléter le texte de Saint-Exupéry, tout comme permettre à un public qui n'arrivait pas à se glisser dans celui-ci de le connaître, de l'apprécier. N'hésitez pas à lire le texte original, avec ses petites aquarelles, si vous ne l'avez encore jamais fait.