Persepolis
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 28/03/2008 (Tags : persepolis marjane satrapi film darius colonnes cinema
Le récit d'un peuple, combat pour la liberté à travers la vie de Marjane Satrapi. Une oeuvre majeure de ces dernières années.
A l’origine, une série conçue en quatre tomes aux éditions de l’Association collection Ciboulette, un par an depuis l’an 2000. Des couvertures colorées abritant un dessin très noir et graphiquement impressionnant. Depuis, les albums ont été réunis par le dos contrecollé, en version intégrale, toujours chez le même éditeur et a connu la notoriété qu’on lui connaît en passant sur grand écran (Persepolis par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, César du meilleur premier film).
Le style de Marjane Satrapi est surprenant, à la fois d’une modernité évidente, mais empruntant aux codes de la culture iranienne. Un dessin très noir, des formes amples, des personnages hauts en couleur malgré le noir et blanc et un effet "fresque" pour des scènes particulièrement saisissantes. Elle aborde des sujets douloureux sans sombrer dans le misérabilisme, en gardant une certaine ironie sur ce monde cruel. Malgré la dureté des images et du sujet, il en ressort un véritable hymne à la vie et à l’intelligence.
Tome 1 : L’enfance de la guerre
Marjane (on aura compris qu’il s’agit d’un récit autobiographique) a dix ans, nous sommes en 1980. Enfant précoce, elle s’intéresse déjà à la politique dans un Iran en prise avec la «
Dieu est mort révolution culturelle », à savoir la montée de l’extrémisme. Un peu perdue par la ressemblance entre Marx et Dieu et ne sachant pas très bien qui sont ses ennemis (il n’est pas de bon ton de poursuivre un camarade de classe armé de clous formant un poing américain), elle réalise peu à peu l’envers du décor du monde des adultes que sont tortures, meurtres et prises de pouvoir illégitimes. Notamment lors de la visite en prison à son oncle qui sera par la suite exécuté, sous l’inculpation d’espion russe ou en affrontant la violence de ses premières manifestations publiques. Le premier épisode se termine sur la déclaration de guerre pour l’Iran, la fin de la croyance en Dieu pour la petite fille.
Tome 2 : Marjane grandit, le conflit s’intensifie
Dans la deuxième partie du récit, Marjane est adolescente. C’est l’âge de la révolte dans un pays soumis à des lois de plus en plus sévères. Iron Maiden sont des démons lubriques tandis que porter une paire de Nike trahit tout de suite votre appartenance au mouvement punk décadent.
Les clefs du paradisAu milieu de cette répression imbécile et des bombes qui tombent chaque jour, Marjane a du mal à se construire. Fort heureusement soutenue par ses parents et sa grand-mère dans son esprit de révolte, qui n’est autre finalement qu’un esprit logique et réflexif, Marjane se détache des codes moraux de cette société, affinant sans cesse son analyse politique et critique de la situation. L'on se souviendra de l’épisode des « clefs du paradis », ces clés étant distribuées aux jeunes gens fanatisés les plus pauvres, sacrifiés en masse sur les champs de mine, ce qui pousse l’auteur à réfléchir entre autres sur la notion de Héros. Finalement, la situation est telle que les parents de Marjane, craignants pour leur fille, sont contraints de l’envoyer à Vienne.
Tome 3 : Seule
Circonvolutions de solitude
Débute alors un récit plus intimiste, plus centré sur l’auteur. En effet, à Vienne, Marjane apprend la solitude. Seule dans un pays inconnu, ne pouvant se tourner vers quiconque car incomprise de ses camarades et des autres autrichiens, pour qui la guerre est, comme pour la plupart des européens, une mythologie, elle s’enfonce petit à petit dans les tourments de la drogue, allant même jusqu’à mettre sa vie en danger. Plus intime, cette partie en est d’autant plus universelle, traitant des problèmes de l’adolescence, des fréquentations douteuses ou des premières relations sexuelles avec un jeune homme décevant qui préfère s'envoyer en l'air avec une blonde. Préférant la soumission à cette liberté trop difficile à gérer en l’état, Marjane retourne en Iran.
Tome 4 : Retour
Après un retour difficile dans un pays qu’elle considère comme un cimetière,
Cours de dessin devant se réhabituer au port du voile et à l’absence de droits de l’Homme, Marjane devient professeur d’aérobic. Puis elle se marie et entre à la Faculté d’Art. Toujours dans son esprit de révolte légitime, elle devient porte-parole des étudiants en arts qui étaient alors contraints, entre autres absurdités, d’étudier le corps humain à travers un tchador. Finalement, forte de ses apprentissages tant personnels qu’intellectuels, ayant acquis la force nécessaire pour assumer sa liberté, elle quitte parents et mari pour venir connaître le succès que l’on sait.
Un récit d’une grande force émotionnelle à lire ou à voir absolument. Sans doute l'une des oeuvres majeures de la fin du XXème siècle.