7/10Pauvres zhéros

/ Critique - écrit par riffhifi, le 02/08/2008
Notre verdict : 7/10 - L’offense profonde (Fiche technique)

Tags : pelot pierre baru pauvres zheros litterature jeunesse

Un des 200 romans de Pierre Pelot passe sous le crayon de Baru pour étrenner une nouvelle collection de Casterman. Le portrait de la France profonde y est acide.

Casterman expérimente : après le label KSTR destiné aux jeunes auteurs, voici la collection Rivages/Casterman/Noir qui affiche l'ambition d'adapter en bandes dessinées certaines œuvres littéraires publiées chez Rivages/Noir. Les quatre premiers albums, parus simultanément fin mai, donnent le ton par leur diversité et le prestige des auteurs impliqués : Nuit de fureur est une adaptation de Jim Thompson par Myles Himan et Matz, Pierre qui roule une vision de Donald Westlake par Francis Lax, Sur les quais une réinterprétation par Rodolphe et Van Linthout du film dans lequel on a pu voir Marlon Brando il y a quelques dizaines d'années, et Pauvres zhéros une mise en images d'un roman de Pierre Pelot par Baru. Ce dernier est initialement paru en 1982 chez Engrenage, mais s'est vu réédité plus tard dans la collection Rivages/Noir ; Pelot est loin d'être un tourneur de pouces puisqu'on lui doit près de 200 livres, dont plusieurs ont été adaptés en film ou en téléfilm (L'été en pente douce avec Jean-Pierre Bacri et Jacques Villeret, Le chant de l'homme mort avec Olivia Bonamy).


Anastase Brémont, bidouilleur inconséquent et inutile qui vit chez sa vieille mère à moitié folle ; son seul ami est le rondouillard Albert, un bouseux radical qui flippe de voir les extra-terrestres débarquer dans son jardin à cause des films d'horreur qu'il voit à la télé. Pendant que ces deux-là traînent leur paresse dans leur patelin, Sylvette accompagne un groupe d'orphelins pour une sortie à la campagne ; pas de bol, elle en perd un en route, Joël le trisomique... L'événement réveille de douloureux souvenirs chez son ami José, et la ville va se mobiliser pour retrouver cet enfant qui n'intéressait personne la veille.

Le plus marquant, dans ce récit oppressant peuplé de personnages ratés (dans leur existence, pas dans leur description par les auteurs), n'est pas tellement l'histoire du gamin perdu, ni même les tragédies plus ou moins explicitées d'un José ou d'un Anastase ; à la limite, on se fout presque de savoir ce qu'il adviendra d'eux, tant leur misère globale et antipathique donne envie de ne pas les aimer. Mais ce qui ressort de l'album, à travers les pages les plus sombres comme à travers les moments lumineux (pas forcément les plus joyeux), c'est une ambiance désespérément glauque, un goût de gâchis et de renoncement. Personne ne souhaite vraiment améliorer sa condition : au pire, il est question de vengeance, au
mieux de laisser-aller. La palette de personnalités en présence est pourtant large, de la vieille voisine sénile qui vit entourée de son armée de chats à la jeune Sylvette qui ne se relèvera sans doute pas de l'aventure ; mais tous semblent condamnés à la tristesse et à la résignation. Ce sentiment est renforcé par l'atemporalité de l'histoire : elle pourrait aussi bien être située en 1982 comme le livre d'origine, qu'hier ou même après-demain. Triste. Comme diraient deux personnages de Gotlib en une phrase-choc aisément réutilisable, « que de misère humaine ! »

Graphiquement, Baru est identifiable sans erreur, avec sa mise en page carrée et son trait expressif, bien qu'on note ici un plaisir beaucoup plus évident à croquer les visages caricaturaux (Anastase, Albert) que les personnages plus « beaux » (José, Sylvette). La mise en couleur douce, privilégiant pourtant les scènes nocturnes, grisâtres et pluvieuses, accompagne parfaitement le dessin. L'album n'est pas pour autant une référence, mais reste un effort de qualité pour ouvrir une collection qui promet de receler quelques pépites.