7.5/10Nosferatu : un mythe revisité

/ Critique - écrit par athanagor, le 23/03/2011
Notre verdict : 7.5/10 - Wolfy num num (Fiche technique)

Tags : dracula vampire film films nosferatu cinema personnage

De l’image flippante de ce vampire à l’aspect de musaraigne et aux poignets arthritiques, Peru et Stephano créent un gaillard bigrement vivace dont le réveil agite des factions aux quatre coins du globe. Au final, ça speed, ça shoot, ça suck, ça s’bastonne, et en fait, c’est plutôt sympa.

Il y en a des choses inquiétantes qui rôdent dans les bidonvilles, à la périphérie de Bombay. Mais une telle créature, même les plus anciens ne se souviennent pas en avoir jamais croisé. Il ne semble pourtant pas mal intentionné,
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cet homme chauve aux oreilles pointues. Dans cette marée humaine, en plein pendant la mousson, il donne même l’impression de vouloir le bien du plus grand nombre. Et quel pouvoir ! On dit qu’il guérit les lépreux en suçant le mal directement dans leurs veines. C’est bien plus que ce que les gens bien habillés qui les dirigent leur proposent. A n’en point douter, ce sont eux qui ont envoyé ces hommes armés pour s’emparer de notre bienfaiteur, car son action nuit à leur pouvoir. Mais la créature est forte et rusée, et la chasse… c’est quelque chose qu’elle connaît.

S’appropriant le personnage du vampire le plus famélique qui soit, les auteurs montent une histoire attrayante qui se lit comme un blockbuster hollywoodien. Découvrant trois factions, réparties à trois endroits différents du globe et qui seront amenées à se rencontrer dans un final musclé, amené par un développement énergique, on a l’impression de s’asseoir devant une superproduction, boostée à coups de millions de dollars. L’aspect tentaculaire et labyrinthique du bidonville renforcera d’ailleurs l’impression que des gros moyens ont été débloqués pour ce film… pardon cette BD. Et c’est en effet assez malin que de ne pas hésiter à utiliser les énormes capacités qu’autorise ce média pour faire du grand spectacle, car, pour peu que le dessinateur s’y entende, cela marche assez bien. Ici, à plusieurs reprises, on a le sentiment de lire un film d’action, et comme souvent dans ces cas-là, on veut savoir comment le méchant va mourir, et c’est pour cette raison que l’on tourne les pages.

Mais qui est vraiment le méchant ? Cette question, dont la réponse semble évidente, reste malgré tout en suspend. Nosferatu, créature démoniaque s’il en est, regagne au fil du récit l’élément d’humanité qui le perd
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à chaque fois. C’est en effet parce qu’il tombe amoureux de la petite copine du héros qu’il en oublie le couvre-feu et se transforme en un petit tas de cendres, qu’une femme de ménage obèse et protestante poussera nonchalamment sous le tapis du salon. Les méchants seraient-ils alors ceux qui le pourchassent ? Mais celui qui attise leurs instincts a d’excellentes raisons d’en vouloir à Nosferatu, des raisons que chacun pourra comprendre. Peut-être alors faut-il se tourner vers les humains, ces êtres vils qui ont injustement dépassé leur statut de réserves de protéines. On serait en effet tenté de le croire, et Peru ne semble pas se priver de le suggérer. Parfois c’est le comportement de certains d’entre eux qui laisse entrevoir cette idée, mais plus sûrement encore, c’est la mise en scène du bidonville qui lui fait écho. Monstre autophage où survit une humanité abandonnée, victime des rares chanceux qui ont réussi à s’en échapper, devenus bourreaux à leur tour, ce lieu renvoie à la faillite d’une modernité sélective à laquelle l’image romantique du vampire offre une échappatoire. Et après tout, qui mieux qu’un vampire pour mettre toute l’humanité sur un pied d’égalité ?

Ni tout blanc, ni tout noir, ce récit est très agréablement illustré par Stephano Martino, dont le trait riche et vivant se montre à l’aise dans tous les domaines soulevés par la narration. Très proche du comics, sa personnalité se logent dans les décors et les ambiances qui conservent un aspect incroyablement factuel. Le levé de soleil sur le bidonville en haut de la page 17 en offre, malgré sa discrétion, l’exemple le plus saisissant, tant on croirait sentir sur sa peau les premiers rayons d’un soleil qu’on devine insupportable dans l’humidité ambiante.
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On pourra bien sûr souligner que c’est ici la couleur qui dirige la sensation. Mais d’autres passages, et surtout la succession parfois brusque de l’Inde moderne à la Rome antique, renforceront le crédit du dessinateur.

Bref, pour autant qu’on puisse en juger, ce premier tome pose très efficacement les bases de son histoire, en favorisant l’action sans se montrer trop simpliste. Grâce à une histoire claire et bien pesée, présentée par un trait riche et vivant, on y revient avec un certain plaisir. De là, on développe une vraie envie de voir ce que donnera le second tome, où l’auteur nous a promis un final qui poutre. Restera à savoir ce que les spécialistes et les puristes du vampire glabre penseront de cette utilisation du personnage.


Olivier Peru : interview vidéo