4/10Neverland

/ Critique - écrit par athanagor, le 16/10/2008
Notre verdict : 4/10 - Pétale dans la choucroute (Fiche technique)

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Stéphane Piatzszek, auteur du très bon Cavales, se colle avec Nicolas Sure, un nouveau venu, sur une histoire de disparition végétale, au final pas très mûre.

Betty, jeune fille bien sous tout rapport, perd sa fleur. Elle était là y'a deux minutes et puis... pouf, pouf ! elle est plus là. Décidée à la retrouver, elle va d'abord aux flics, et comme c'est pas des poètes les flics, bah elle va dans la rue. Et v'là t'y pas que sa fleur elle est sur des affiches publicitaires. Waouh la star ! Mais quand même c'est sa fleur à elle ! et elle va à l'agence de pub pour la réclamer (elle choisit donc bien son endroit). De là, et portée par la candeur qui caractérise toutes les fraîches jeunes filles de son âge qui perdent leur fleur, elle se retrouve embarquée dans une cascade de flux médiatiques et de problèmes politiques dont elle se serait bien passé, mais dont elle finira par prendre les rênes au nom de la justice et de la morale. Bref, c'est quand on perd sa fleur que les ennuis commencent.

La couverture et les premières pages de cet album semblent nous mettre sur la voie d'une histoire naïvement poétique, racontant la complicité existant entre uVoleur de fleur !
Voleur de fleur !
ne jeune fille et une fleur qui, à défaut de pouvoir s'enfuir de la ville où elle étouffe, décide de la coloniser, avec l'aide de cette jeune fille, pour en faire son nouvel habitat. Le quatrième de couverture semble même vouloir nous confirmer dans cette hypothèse en complétant l'illustration, qui représente la jeune fille et la fleur sur un quai du métro et tous les autres personnages sur le quai d'en face, comme autant d'adversaires à l'alliance écologique évoquée, mus soit par l'incrédulité soit par le sentiment d'opposition farouche à toute forme de modification de leur milieu. Et c'est avec une certaine attente bordée de sympathie que l'on s'attend à lire ce genre de récit. Fort malheureusement, quelques pages passées, c'est avec une certaine lenteur mais une ferme volonté d'y aller, que les auteurs nous dévoilent le fond de leur histoire. Rien de fantastique ni de féerique dans tout cela, mais bien un énième pamphlet anti-télé et anti-pub, servi sur un ton et selon des codes convenus, ce qui est à la fois surprenant et décevant de la part de
Stéphane Piatzszek, qui nous émerveillait avec Cavales, dans la même collection.

On se retrouve donc, pour nous transmettre un message déjà bien connu, avec une Eh oh ! Chacun sa fleur !
Eh oh ! Chacun sa fleur !
bête histoire gavée de clichés. La jeune fille, Betty, est lectrice pour une maison d'édition, ou quelque chose dans le genre, sa voisine de palier, devenue son amie, est une pute (selon ses propres termes) qui déniche ses clients sur internet, ce qui montre bien la largesse d'esprit de Betty, qui vit d'ailleurs dans ce qui semble être un très joli petit appartement parisien qui donne sur une rue populaire de la capitale. Le mot que vous cherchez est sûrement « bobo », sinon c'est « Pffff... ». Allons un peu plus loin et collons au pubard en chef la gueule de l'insupportable Beigbeder et au chef suprême de la télé et de la pub un corps obèse et difforme de vieux capitaliste libidineux, et vous aurez une idée assez précise du style de cette BD.

Hormis les bornes ultra évidentes où se trouve cantonné le message de l'album, constituant un fond déjà fatigant, les auteurs jouent de maladresse dans la forme, en enchaînant les éléments de l'histoire avec une brusquerie effrayante, donnant l'impression que toutes les scènes sont autant de petites histoires inachevées qui cherchent malgré tout à tenir compte du contexte. Dans ce cahotement narratif, la fin apparaît comme n'importe quel autre élément de l'histoire et ne constitue absolument pas une conclusion, mais plutôt une suspension. On est d'ailleurs tout étonné que la page d'à côté n'aie plus d'images. Dans l'ensemble viendront également se glisser des pages qui semblent n'avoir qu'un lointain rapport avec l'histoire en elle-même, comme la page 40, qui met certes en scène des taggeurs anti-pub, mais sans aucun rapport avec le récit (ou alors c'est ultra subtil). C'est comme si, dans l'album 32 de Yakari, une pleine page était consacré à un loup qui se soulage sur un arbre. Oui, c'est un animal ; oui, Yakari parle aux aniCueilli au vol
Cueilli au vol
maux ; oui c'est un arbre de la forêt de Yakari, mais dans cet album Yakari deale avec les ours. Donc, quid ?

En fait de maladresse, relevons également les tentatives de véhiculer des idées au travers des personnes et de leur psychologie. Passons sur le surveillant de supermarché armé d'une matraque (!) qui se défoule sur un des personnages principaux, un petit garçon, jusqu'à ce que mort s'ensuive (dans l'indifférence générale des passants), et qui s'avère être un brave homme luttant pour nourrir sa famille et survivre dans ce monde de brutes, en s'accrochant tant bien que mal à ce boulot pourri. Le message qui en découle est honteusement grossier tant intellectuellement que visuellement, avec une emphase exagérée du passage à tabac.
Poursuivons avec les seconds couteaux, quatre frères, enfants d'un psychologue marginal et qui n'ont jamais mis les pieds à l'école, porteurs de la vérité simple que l'ouvrage nous transmet. Ils sont ainsi, en dehors du système éducatif et de la société, les chantres d'un bon sens universel, proche de ce que la nature humaine serait vraiment. Or is it ?
Le summum est le vieux flic à la jambe de bois, qui en a vu des caisses et dont la raison le porte à prendre plutôt parti pour la jeune fille et ses amis illettrés. Encore une image d'Epinal de la sagesse populaire qui s'acquiert à la force des ans et par le poids de l'expérience. Drôle d'idée pourtant de le nommer Achab, nom lui venant tout droit du roman de Melville et de ce capitaine à la jambe en moins. L'auteur Stéphane Piatzszek déclare que cette jambe de bois est la marque d'une ancienne faute qui, s'il faut en juger par le comportement du vieux flic, l'a guidé dans la voie de la sagesse. Ceux qui ont lu Moby Dick apprécieront.

Bref du cliché, clic-clac en veux-tu en voilà tout à trac, sans plus de poésie et d'originalité que celles que l'on voit tous les jours... à la télé.