9/10Murena - Tomes 1 à 4

/ Critique - écrit par iscarioth, le 26/12/2005
Notre verdict : 9/10 - La meilleure série du genre (Fiche technique)

Tags : murena tome dufaux delaby eur neron jean

Critique du premier cycle (tomes 1 à 4) : riche, captivant, documenté, novateur... Incontestablement, Murena est l'une des meilleures séries du scénariste Dufaux.

Les auteurs

Non, ne me dites pas que vous ne connaissez pas Jean Dufaux ! D'accord, ce scénariste est très certainement moins connu que des figures comme Jodorowsky ou Christin, peut être un peu plus médiatisées. Implanté dans le paysage de la BD franco-belge depuis au moins aussi longtemps que les deux auteurs sus cités, Dufaux se cache derrière bien des séries marquantes : Complaintes des landes perdues, Djinn, Giacomo C., Jessica Blandy ou encore Niklos Koda. Prolifique mais régulier, le scénariste a investi tous les genres : l'humoristique, l'historique, le polar, la science fiction, l'aventure mais aussi la biographie (Pasolini). Murena est l'une des plus belles réussites dans la bibliographie du scénariste. Révélé dans les années quatre-vingt-dix, Delaby a très souvent investi des séries d'aventure historique : L'étoile polaire, Bran ou encore Richard Coeur de Lion. Son style explose littéralement avec Murena, série sur laquelle son dessin est en perpétuelle progression.

L'histoire

Ce premier cycle s'attache à dépeindre les premières années de pouvoir de Néron, dernière figure de la dynastie des julio-claudiens (-28 à 67). Succédant à Claude, il accède au pouvoir à 17 ans seulement et a comme première rivale celle là même qui a permis son accession accélérée au trône : sa mère, Agrippine.

Historique, documenté... et captivant !


On le dit souvent, pour faire découvrir à tous l'histoire, rien de plus rébarbatif qu'un manuel scolaire ou qu'un ouvrage universitaire de l'épaisseur d'un annuaire téléphonique. Pour aborder l'histoire par la voie plaisante de la fiction, deux filières traditionnelles s'imposent à nous : le roman et le cinéma. Beaucoup définissent la bande dessinée comme une via media entre ces deux arts et supports d'expression. Au cinéma, on nous impose tout : des décors à la voix des personnages en passant par le rythme de la narration. En littérature, une place énorme est réservée à l'imagination, qui se doit d'être aux aguets pour construire elle-même graphiquement tout ce qu'on lui dicte par l'abstrait. Comme le dit Michael Green, qui préface le quatrième tome, « la bande dessinée semble se trouver à mi-chemin de ces deux traitements, et la série Murena constitue la parfaite illustration ». On peut dire en effet que la série Murena concentre en elle à la fois les qualités que l'on peut trouver dans un film et celles que l'on relève dans un ouvrage documentaire. Comme devant Spartacus de Stanley Kubrick ou Gladiator de Ridley Scott, vous serez ébahi et pris dans la spirale épique des combats de gladiateurs. Comme en feuilletant un ouvrage dédié à la Rome antique, vous en apprendrez sur le passé. Car Murena est un ouvrage fort documenté, c'est une fiction basée sur la recherche. C'est ce qui saute aux yeux quand on la lit. Première preuve, le glossaire, placé à la fin de chaque album, qui développe certains points de l'intrigue pour le lecteur. Dufaux y cite ses sources : Suétone, Sénèque, Tacite... Il explique aussi sur quels points il n'a pas été conforme à l'histoire ou quels événements portent encore à débat. Deuxième preuve, attestant de la teneur documentaire de la série, les sources. Jean Dufaux nous donne à lire sa bibliographie, les ouvrages qu'il a parcouru pour faire germer en lui le scénario de Murena, qui est avant tout un produit d'histoire véritable. Troisièmement, on peut souligner le fait que Murena a été salué par un bon nombre d'éminents spécialistes en histoire romaine tels Michael Green, professeur au King's College d'Oxford et conseiller historique pour Gladiator ou le professeur Thuillier de l'Ecole Normale Supérieure.

Plusieurs niveaux de lecture

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette période de l'histoire romaine et antique est loin d'être rébarbative. Murena se concentre sur les luttes de pouvoir à la tête de l'empire. Complots, assassinats, machinations machiavéliques... Le pouvoir et les personnages luttant pour son contrôle, Neron et Agrippine principalement, sont donc au centre du récit. A un deuxième niveau, à l'opposé des puissants, on parcourt aussi l'existence de pauvres combattants, les gladiateurs qui, même s'ils sont souvent les instruments du pouvoir, représentent un second niveau de lecture et soulèvent des thèmes différents. Finalement, le personnage de Murena, que l'on croit, au vu du titre, important, n'est qu'un rôle secondaire et s'efface souvent devant les deux sujets que nous venons d'évoquer. Il est surtout le témoin de son époque et des troubles qui la caractérisent.

Delaby et Kathelyn, un duo performant


La narration de la série repose essentiellement sur les dialogues, qui sont pour certaines scènes proches de l'exposition. Très bien écrits, ces dialogues sont portés par une technique sans faille : un choix des plans et des enchaînements parfaits. On retiendra une organisation verticale des planches qui revient à plusieurs reprises, avec des vignettes cernant les personnages en plan américain ou rapproché, ce qui nous donne une impression de grande théâtralité. Le lecteur devient fort réceptif aux expressions faciales et les dialogues prennent en profondeur. Philippe Delaby, jusqu'à Murena plutôt inconnu, explose littéralement, avec une qualité de dessin qui progresse, au fil des albums. On retiendra la grande force expressive des personnages (le visage de Néron, terrifiant et sublime à la fois). Comme devant un album signé Léo, on peut rester plusieurs longs moments à scruter les visages. Saluons aussi le sens de la documentation du Delaby, au moins aussi grand que celui de son scénariste, en attestent les coiffures, vêtements et architectures, tout à fait crédibles. On n'oubliera pas non plus de parler du travail de Dina Kathelyn, la coloriste, à qui revient une grosse part du mérite quant à l'expressivité des personnages. Les couleurs sont très travaillées, notamment au niveau des teints et jeux de lumière. Du très bon travail.


Riche, captivant, documenté, novateur... Incontestablement, Murena est l'une des meilleures séries du scénariste Dufaux. On attend toujours le second cycle de la série, le cycle de l'épouse, après celui de la mère. Dans une interview donnée à art9.net, Delaby explique un peu la façon dont lui et Dufaux voient évoluer la série : « C'est un cinéma comme cela, un cinéma à grand spectacle, que l'on a envie de faire dans Murena. Ainsi, le second cycle va être plus spectaculaire tant au niveau des batailles, des combats dans l'arène, des courses de chars. Il y aura plusieurs scènes avec des courses de chevaux faites sur des planches à une seule case ! ». Déjà quatre ans depuis la sortie de Ceux qui vont mourir... Vite, on veut la suite !


Chapitre premier - La pourpre et l'or (1997)
Chapitre deuxième - De sable et de sang
(1999)
Chapitre troisième - La meilleure des mères (2001)
Chapitre quatrième - Ceux qui vont mourir... (2002)