Hercule Poirot mène l'enquête

Depuis 2002, les éditions Emmanuel Proust proposent la collection Agatha Christie,
dont le premier et principal scénariste est François Rivière, auteur par ailleurs de Victor Sackville. Après avoir enrichi cette série d'adaptations de deux tomes cette année, portant ainsi leur nombre à 17, l'éditeur sort cet été deux compilations consacrées au détective belge le plus célèbre de la romancière anglaise : Hercule Poirot mène l'enquête (qui contient Mort sur le Nil et Le crime d'Halloween) et Hercule Poirot voyage à haut risque (avec Le train bleu et Les Quatre).

Mort sur le Nil (2002)

1930. Au cours d'une croisière sur le Nil, Hercule Poirot est témoin des intrigues qui entourent le couple formé par Linnet Ridgeway et Simon Doyle... Le meurtre rôde, et le petit moustachu devra faire usage de ses petites cellules grises pour démêler les nœuds de l'affaire. L'enquête est une des plus célèbres de Poirot, avec Le crime de l'Orient-Express et Le meurtre de Roger Ackroyd, et on en connaît le déroulement pour l'avoir vu régulièrement sur M6, sous la forme d'un film de 1978 où Peter Ustinov jouait le détective sur la piste de Mia Farrow, Jane Birkin, Angela
Lansbury, David Niven et Bette Davis. Difficile de rivaliser avec un tel casting, mais l'approche choisie par Rivière et le dessinateur Solidor est celle d'un classicisme de bon aloi, lorgnant de façon évidente vers ce pilier de la bande dessinée franco-belge qu'est Blake et Mortimer. Hercule Poirot est un personnage belge créé par une Anglaise, Blake et Mortimer des personnages anglais créés par un auteur belge : on s'y retrouve. Les dessins et le découpage sont donc d'une minutie et d'une rigueur impressionnantes, et le reproche essentiel que l'on puisse formuler à l'encontre de cet album est le manque régulier de clarté avec lequel les phylactères sont reliées à leur propriétaire. Dans une intrigue policière, on regrette parfois d'avoir à se creuser les méninges pour comprendre qui est en train de parler. Le résultat reste de haut standing et d'une grande densité (peut-être même trop grande, au point de ne proposer ni prologue ni épilogue aux évènements décrits).

Le crime d'Halloween (2007)

Années 60. Le Poirot a mûri, car trente ans lui sont passés dessus. La BD n'a été réalisée que cinq ans après Mort sur le Nil, mais elle est l'œuvre de Chandre
(scénario et dessin), qui offre une vision bien différente du duo Rivière / Solidor. Avec ses angles étranges et parfois tordues, ses perspectives irréelles et sa colorisation à l'aquarelle, ce Crime d'Halloween possède un ton plus british que franco-belge. Le choix n'est ni meilleur ni moins bon que le précédent, il est juste radicalement différent, comme l'est l'histoire : ce meurtre d'enfant reflète bien le pessimisme que pouvait avoir une Christie vieillissante, témoin des bouleversements sociaux des années 60. Le roman, intitulé en anglais Halloween Party, fera l'objet d'un des quatre épisodes produits cette année par la BBC, qui complète patiemment depuis 1989 sa collection d'adaptations mettant en scène l'acteur David Suchet.

De toute évidence, la collection Agatha Christie n'est pas la production la plus originale des éditions Emmanuel Proust (voir leur excellente nouvelle série Ontophage), qui s'en servent essentiellement pour générer facilement les profits nécessaires à son fond de roulement. Cette réédition en intégrale en est la preuve (un précédent recueil compilait déjà les trois premiers titres en 2003). Mais le travail soigneux apporté à chaque BD et la diversité appréciable des approches artistiques permet de se replonger sans rechigner dans ces enquêtes légendaires...