9/10Miss pas touche - Tomes 1 et 2

/ Critique - écrit par iscarioth, le 26/03/2007
Notre verdict : 9/10 - Poisson pilote's touch (Fiche technique)

Tags : miss touche tome hubert manga dargaud jeunesse

Miss pas touche est un excellent diptyque. S'il y a une histoire à découvrir, chez Poisson Pilote, ces années ci, c'est bien celle-là.

Poisson Pilote, un label

Il existe des collections de références, surveillées par d'innombrables bédéphiles à l'affût. Des collections qui ont su, à mesure d'un catalogue enchaînant les merveilles, se forger une image de marque, une tonalité caractéristique qui fédère.

Poisson Pilote, collection Dargaud créée par Guy Vidal, est à classer en tête de liste de ces collections. Elle a permis de révéler toute une génération, au travers de l'explosion d'auteurs précieux comme Blain (
Isaac le pirate), Trondheim (Les formidables aventures de Lapinot) ou Sattouf (Les pauvres aventures de Jérémie). En quelque sorte, Poisson Pilote, c'est une des collections qui a permis la conciliation de la bande dessinée d'auteur et du grand public. Voilà pourquoi, nous comme nos confrères, surveillons l'actualité de Poisson Pilote. Et voilà pourquoi la sortie de Miss pas touche était attendue.

Richesse, traumatismes et humour

La lecture des quelques premières pages du premier tome indique de suite la qualité de l'ensemble. On perçoit un sens du découpage, une maîtrise des dialogues, bref, un bon niveau de narration. Au bout de dix pages seulement, les auteurs nous ont déjà joué un tour : le centre narratif de l'album n'est pas celui que l'on croyait au départ. Un événement sordide dans les premiers moments du récit annonce le ton : Miss pas touche "touchera" à des thèmes délicats. L'histoire est celle de Blanche, jeune fille prude au caractère bien trempé, femme de ménage dans la France des années trente, secouée dans son quotidien par une tragédie et finalement parachutée bien malgré elle dans une maison de passe. La jeune femme ne se laissera pas toucher par un homme, ça non ! Elle est donc embrigadée chez les "spéciales", section de prostituées expertes en pratiques sado-masochistes. Blanche, fouet à la main, se vide de sa rage en flagellant la peau d'hommes, qui, pour elle, sont tous les mêmes.

Héritiers de Sfar

Il y a une grande palette d'émotions dans ce premier album, et toutes sonnent absolument juste. Tout d'abord, il y a l'humour. Une douceur souriante qui perce dans les dialogues et dans le dessin, avec notamment les expressions faciales. Kerascoët (en fait un duo de dessinateurs) possède un style très proche de Sfar. Les mêmes formes, les mêmes visages, le même sens du mouvement, même si ici le trait est un peu plus continu. On ne s'étonne pas d'apprendre que le "duo Kerascoët" a travaillé sur le dessin animé Petit vampire et pour un album de la série Donjon. Pour continuer sur l'énumération des tonalités, on parlera ensuite du drame. Miss pas touche possède une forte résonance dramatique. Les thèmes traités (le meurtre, la prostitution, la phallocratie) prennent aux tripes. Le relationnel entre les personnages, dans le bordel, est très profond. On est surpris d'apprendre à la lecture du premier album que Miss pas touche se termine en un diptyque tant l'univers déployé est large. Après l'humour, le drame et la réalité sociale, on peut parler du coté policier. Miss pas touche est aussi un thriller. L'angoisse du meurtrier plane sur l'album. Blanche passe au crible tous les assassins potentiels. Le policier, un genre vieux comme le monde, est revisité et retraité dans un contexte particulier, tout comme l'a été le genre d'aventure avec Isaac le pirate de Blain.

Faisons du drôle avec de l'horrible

Le deuxième album, Du sang sur les mains, est une accélération, vers la résolution de l'intrigue. Blanche s'affirme dans son caractère de forte tête (elle se plante elle-même une fourchette dans la main en faisant accuser l'une de ses camarades pour la faire renvoyer). Le personnage, à la base apeuré et recroquevillé, exulte en un déchaînement de rage (voir pages 20-21 du tome 2), parfois meurtrière. La violence, à peine atténuée par l'humour, redouble d'intensité. La grande force de Miss pas touche, c'est d'être parvenu à briser les frontières : pas seulement les frontières de genre, mais aussi celles de l'esprit et du ton. Miss pas touche raconte des choses terribles par un dessin aux allures humoristiques, sans jamais sombrer dans la décrédibilisation burlesque.


Miss pas touche est un excellent diptyque. S'il y a une histoire à découvrir, chez Poisson Pilote, ces années-ci, c'est bien celle-là. Miss pas touche mélange les genres et les tonalités, tant par la voie graphique que par la voie scénaristique. Une véritable réussite.