8.5/10Millénaire - Tomes 1 à 3

/ Critique - écrit par iscarioth, le 30/11/2005
Notre verdict : 8.5/10 - En route vers l'excellence (Fiche technique)

Tags : tome millenaire nolane livre prix deschenes miville

Critique des tomes 1 à 3 : en tous points, Millénaire s'inscrit dans la qualité. Une qualité qui va grandissant au fil des albums, avec un rythme de plus en plus maîtrisé et prenant.

Les auteurs

Richard D. Nolane débute en BD dans les années quatre-vingt, avec la publication des séries La Une dans le Caniveau et Lüger et Paix, chez les Humanos. Sa série la plus prolifique et certainement la plus connue, est Harry Dickson (onze tomes chez Soleil). François Miville-Deschênes, lui, est moins expérimenté. Millénaire est sa première série. Miville-Deschêness a un temps travaillé comme illustrateur avant de tenter sa chance en Europe (il est québécois) en tant que dessinateur BD. Selon Nolane, Miville-Deschênes est un « talent déjà tout armé comme il est rare d'en découvrir dans le milieu des dessinateurs ».

L'histoire

A quelques années de l'An Mil, la peur de l'apocalypse anime les habitants de l'Europe. Les goules, trolls et autres créatures sèment la terreur sur terre tandis que dans le ciel, les vaisseaux métalliques des sylphes semblent n'attendre plus qu'un signal pour semer l'apocalypse. Au milieu du tumulte, Readwald le saxon mène ses affaires de trafiquant de reliques.

Le brassage des genres

En ouvrant le premier tome de Millénaire, on croit plonger les yeux dans un récit historique. L'aventure est datée, nous sommes en 997 et l'on évoque Hugues Capet. Même si l'on est rapidement confronté à la violence visuelle, le récit semble prendre la tournure d'une enquête médiévale de type Le nom de la rose de Umberto Eco. Beaucoup de dialogues, un monastère et une situation de laquelle le héros doit s'extirper avec ruse. Avec ce premier album, Les chiens de Dieu, les scènes d'action sont plutôt rares. Les choses évoluent déjà nettement avec Le squelette des Anges. Déjà, le premier tome de la série nous faisait penser à un récit héroïc fantasy réaliste avec l'intrusion de créatures monstrueuses nommées les goules. La série s'enfonce plus profondément dans cette brèche avec le tome deux, même si la série reste encore incrusté dans une période et un lieu d'histoire précis et réel. Les dialogues sont moins nombreux et les scènes d'actions se multiplient, des scènes d'action pendant lesquelles se déploit une violence souvent très gore : joues percées, corps déchiquetés, démembrés, calcinés, décervelés, décapité, écrabouillés, violés... Une violence jouissive qui nous rapproche de l'héroïc fantasy pure et dure, brut de décoffrage. Autre caractéristique nous rapprochant du genre HF, le trio de héros, au sens traditionnel : le petit malin, le grand costaud et la belle et plantureuse. Toujours à l'allure crescendo, le troisième tome se rapproche encore plus de la fantasy. Un bestiaire plus présent, avec des trolls, une tribu primitive et des événements qui nous mènent même vers la science fiction ! Avec ces trois premiers tomes, Millénaire s'est distingué par son insaisissabilité. Pour cette série, on pensera donc à l'héroïc fantasy, mais aussi à l'horreur, au policier, à l'aventure historique et j'en passe... Difficile de véritablement cataloguer la série, qui ne s'inscrit pas de manière banale dans un genre pour en réutiliser bêtement les codes, mais qui effectue un véritable brassage de différentes influences et univers.

Astérix et Obélix

Les deux personnages principaux, Readwald le saxon et Arnulf « poing de fer », sont très pittoresques. Le petit blond malicieux et le colosse roux un peu benêt nous renvoient de manière très humoristique à Astérix et Obélix. « Qui c'est le gros lourdaud ? » s'écrit Arnulf dans L'haleine du diable, comme pour un hommage. On retrouve la même configuration de rapports. Readwald arrive à se dépêtrer de toutes les situations avec intelligence et stratégie tandis que Arnulf est surtout utile pour les moments de grande bagarre, où il impose sa force surhumaine. Avec le tome deux, un troisième personnage vient se greffer au duo du départ : Rowena, une plantureuse navigatrice sortie d'on ne sait trop où, véritable caricature de la femme d'action, féministe et révoltée jusqu'au bout de l'épée. Miss « tétons qui pointent » apparaît, comme le veulent les habitudes prises en bande dessinée comme ailleurs, à plusieurs reprises largement dénudée, alors que l'on n'a pas encore entraperçu un centimètre des fesses de Readwald. Chacun sa place, dirons-nous. Ces profils très typés nous rapprochent encore plus du récit de type héroïc fantasy. Mais, contrairement aux apparences, ces personnages, bien que très incrustés dans leurs rôles, ne sont ni caricaturaux ni creux. Tous bénéficient d'un réel charisme, soutenus par des dialogues d'excellente qualité, non dépourvus d'humour. Autre grande qualité, Millénaire ne donne pas dans le romantisme niais comme le fait une série comme Thorgal. Un couple se forme parmi le trio de personnages, ce n'est pas pour autant que l'on s'enfonce dans les grandes tirades enflammées et arlequinesques. On trouve aussi dans Millénaire, de belles allusions à la manipulation des masses par la religion, avec Readwald qui, avec sa croix-poignard, assassine tout en faisant croire au miracle.

Travail d'orfèvre

Tous les albums de Millénaire racontent une histoire unique et ont une fin en soit. Il y a deux narrations : la narration immédiate, l'aventure racontée en un album, et celle globale, sur l'ensemble des albums, qui dessine le parcours de nos trois héros. Graphiquement, Millénaire est magistral. Il fait du bien de lire un album qui utilise la colorisation par ordinateur non pas pour gagner du temps mais pour réaliser un vrai travail d'orfèvre, tout en précision et en détails. Le dessin de François Miville-Deschênes est d'une rare finesse, rappelant les travaux d'Eric Lambert et de Frédéric Peynet. Les visages sont d'une grande intensité, construits dans la précision des traits et des variations de couleur. C'est d'ailleurs pour ces visages, modelés aux traits fins que l'on pensera à l'excellent Peynet. Ici, pas de dégradé régulier bleu pour se débarrasser d'un arrière plan aquatique. Rien n'est bâclé, du vaisseau sanguin sur l'avant bras d'un personnage au nez très légèrement rougi par le froid. On ne se moque vraiment pas de nous.


Thorgal
est la grande référence en matière d'héroïc fantasy réaliste. Millénaire est une alternative de qualité à la série : plus d'honnêteté et de complaisance (n'ayons pas peur des plaisirs malsains) dans la violence, pas de minauderies, pour une série convaincante, aux albums formant des histoires indépendantes mais contribuant à la formation d'un univers qui se construit. Narration, découpage, réalisation graphique, coloration... En tous points, Millénaire s'inscrit dans la qualité. Une qualité qui va grandissant au fil des albums, avec un rythme de plus en plus maîtrisé et prenant. On espère de tout coeur que la série rencontrera le succès commercial nécessaire pour perdurer autant de temps que ses auteurs l'auront décidé.


Tome 1 - Les chiens de Dieu (2003)
Tome 2 - Le Squelette des anges (2004)
Tome 3 - L'haleine du Diable (2005)