8.5/10Les Mauvaises gens : une histoire de militants

/ Critique - écrit par iscarioth, le 05/03/2006
Notre verdict : 8.5/10 - Patrimonial (Fiche technique)

Les mauvaises gens est une pièce patrimoniale, une oeuvre utile à la mémoire collective. Même s'il n'intéressera pas tout le monde, l'album dresse le portrait pertinent d'une France dans sa globalité, à partir d'individus aux expériences très particulières.

L'histoire collective par le témoignage

Prix du scénario et prix du public à Angoulême, Prix de la critique (ACBD), Prix France-Info de la BD d'actualité... Les mauvaises gens croule sous les récompenses. L'album de la consécration pour son auteur, Etienne Davodeau, déjà fort bien apprécié des bédéphiles. Depuis plusieurs années déjà, Davodeau enchaîne les franches réussites : Quelques jours avec un menteur (1997), Rural ! (2001) et La chute de vélo (2004) sont à compter parmi les meilleurs éléments de sa bibliographie. Avec Les mauvaises gens, Davodeau s'ouvre à un plus large public et accède à une reconnaissance médiatique et critique totale. Il franchit un nouveau palier dans sa carrière. Dans les Mauvaises gens, Etienne Davodeau raconte l'histoire de ses parents, des ouvriers engagés dans le militantisme dans une région de la France très éprise de religion catholique, les Mauges. Au travers du portrait qu'il dresse de ses parents, il fait revivre toute une époque, toute une communauté d'habitants. Etienne Davodeau met en abyme son propre travail dans l'album. A un moment, il rend compte de la discussion qu'il a eu avec ses parents à propos de la rédaction de ce livre témoignage sur leur vie. A son père, qui lance « on n'a rien fait de plus que les autres », l'auteur répond : « Justement. Tous vos copains militants ont eu des trajectoires assez semblables aux vôtres. Raconter la votre, c'est évoquer la leur ». Les mauvaises gens est un récit d'envergure ; il a une dimension patrimoniale. L'album rend compte de la vie et des espérances de toute une génération d'hommes et de femmes. L'album s'étend sur une période qui va de l'après-guerre à l'élection de François Mitterrand. Une élection qui conclut le récit sur une note glaciale, pour nous, lecteurs, qui connaissons la suite des événements et qui savons qu'il n'existait pas de « lendemains qui chantent ».

BD reportage

Il est évident que tous ne se sentiront pas concernés par le sujet. Les mauvaises gens, c'est l'histoire d'une partie de la population française (les ouvriers et les syndicalistes), d'une certaine époque (les trente années d'après-guerre) et d'une certaine région (les mauges, dans l'ouest). Etienne Davodeau ne traite pas ici de thèmes universels comme il a pu le faire en écrivant l'histoire d'amitié intitulée Quelques jours avec un menteur. Ici, on est plus dans la continuité de Rural !. Il s'agit d'une bande dessinée de reportage et de témoignage. Un genre finalement assez peu prisé qui ne permet pas un déchaînement de bruits et de couleurs. Les planches de l'album rendent compte, à la manière d'un documentaire d'entretiens, de discussions menées avec quelques personnes. Le style de Davodeau n'a pas changé et son « lavis en noir et blanc » sait toujours aussi bien caractériser les expressions et la profondeur des visages. La BD de reportage va donc très bien à Etienne Davodeau et l'on peut dire, après le très grand succès critique et public, sur un tout autre ton, de Retour au collège de Riad Sattouf, que le genre a encore de beaux jours devant lui. Rajoutons enfin que Les mauvaises gens ne se limite pas au seul reportage. Surtout vers la fin, l'album flirte avec l'autobiographie. Etienne Davodeau se raconte enfant et ne manque pas d'exposer sa vision très ironique de la religion et du syndicalisme, au travers de souvenirs juvéniles.


Le personnage principal de cet album, c'est le contexte. Le background historique et social. Les mauvaises gens est une pièce patrimoniale, une oeuvre utile à la mémoire collective. Même s'il n'intéressera pas tout le monde, l'album dresse le portrait pertinent d'une France dans sa globalité, à partir d'individus aux expériences très particulières.