Lucien - Tome 9 - Toujours la banane
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 04/10/2008 (Tags : lucien toujours tome margerin banane frank fluide
Lucien a toujours la banane, et nous aussi. Le héros de Margerin a beau être devenu un grassouillet quinqua, l'esprit de la bande dessinée reste intact et le résultat est rafraîchissant.
Lucien est indissociable de son créateur Frank Margerin, et vice versa. Et les deux étaient jusqu'ici indissociables des Humanoïdes Associés, la maison d'édition née du magazine Métal Hurlant où Lucien a vu le jour il y a trente ans. Mais tout passe, et Margerin transfère cette année son fonds de BD chez Fluide Glacial (y compris son autre série Manu, a priori). Ce qui ne change pas grand chose pour le lecteur, et profite bien à Fluide qui compense la perte de Sœur Marie-Thérèse de Maëster, partie chez Glénat. On notera tout de même que les rééditions de Lucien prévues ne comptent que les titres de la série principale, ce qui signifie qu'on n'y retrouve ni Ricky VII (1985), ni Lucien le retour (1993), ce qui est bigrement dommage. Mais d'une part, on peut supposer qu'ils seront publiés ultérieurement, d'autre part on s'en désintéresse partiellement puisque le centre de l'attention est le nouvel album, intitulé Toujours la banane. La couverture annonce la couleur à ceux qui l'ignoraient : Lucien a pris un méchant coup de vieux. Contrairement à un Alix qui continue de promener ses dix-huit ans dans le monde antique depuis les années 40, Lulu se retrouve aujourd'hui avec la bedaine et les cheveux gris qu'impliquent
It's only rock'n'rollses cinquante ans. Les esprits chagrins objecteront que le personnage ne semblait pas avoir la quarantaine dans sa dernière apparition en 2000 (Week-end motard), mais on leur répondra tout simplement que la question n'est pas là. La seule question tient en ces mots : Margerin et Lucien ont-ils réussi leur come-back ?
Lucien et son blouson noir, Lucien et sa banane, Lucien et son esprit rock'n'roll sont devenus vendeur dans une boutique de musique, sont devenus père de famille pantouflard et largué, sont devenus prof de guitare à domicile désabusé, et ont perdu le lien avec les excellents potes Gillou, Ricky et Riton. C'est donc avec émotion que le quatuor se reforme à l'improviste, et décide de participer à l'émission en vogue : la Rock Star Band Academy...
Père d'une fille gothique et d'un fils joueur de console (prénommé Eddy, on suppose que c'est le père qui a choisi !), Lucien habite en plein XXIème siècle et se croit fini. Pourtant, le rock'n'roll n'est pas mort, et le papy power a autant de pêche en bd qu'au cinéma. Avec la même capacité d'émotion qu'un Space Cowboys (2000) qui montrait Clint Eastwood et Donald Sutherland en astronautes septuagénaires, l'album tire de nombreux sourires au lecteur complice, qui retrouve avec plaisir les versions mûres de quelques personnages familiers. Le sentiment est rare en bande dessinée, car peu d'auteurs prennent le risque de faire évoluer
l'âge et l'environnement de leurs héros (bien que certains fassent la moitié du chemin : Tintin ne vieillissait pas mais traversait visiblement les décennies).
L'humour est aussi frais aujourd'hui qu'il pouvait l'être dans les années 80-90 : on retrouve aussi bien les quelques gags un peu patauds dont Margerin est coutumier (« Pourquoi on peut pas jouer Jeux Interdits ?! Ben parce que c'est interdit, pardi ») que les planches réellement cocasses où les observations pertinentes de la société sont juxtaposées aux gags absurdes qui pointent au second plan. Les Lucien de Margerin ont toujours eu un goût de « BD à la papa » malgré leur sujet rock ; rien de plus logique que cet album de la maturité ait un goût de rock'n'roll malgré ses héros embourgeoisés. Voir la fine équipe de Ricky Banlieue faire un bœuf quasi-clandestin dans une cave a quelque chose d'aussi excitant que de voir un Stallone de 60 ans mettre une peignée sur un ring à un jeune coq de 25. Avec ce nouveau départ, le rockeur de Malakoff semble prêt à séduire de nouveau ; c'est tout le bien qu'on lui souhaite.