8.5/10Lester Cockney - Irish Melody / Shamrock Song

/ Critique - écrit par athanagor, le 11/01/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Un grand bol d'Eire (Fiche technique)

Tags : lester cockney franz melody irish shamrock song

Cet album regroupe les deux ouvrages relatant l'enfance de Lester Cockney, le héros de Franz, parus en 1994 et 1996, déclaration d'amour à l'Irlande, ses femmes et ses chevaux.

Irish Melody, paru en 1994 et Shamrock Song, paru en 1996, sont ici réédités en un seul livre de 128 pages, toujours dans la collection Signé du Lombard. Franz, dans ce diptyque, nous raconte l'enfance et la première aventure de Lester "Cockney" Mahoney, son héros le plus emblématique et auquel il s'identifie le plus. Ce personnage, bâtard de mère irlandaise et de père anglais, vivra de nombreuses aventures alors qu'enrôlé de force dans l'armée anglaise, il traverse les continents au gré des colonies de la couronne, toujours dans l'optique de présenter la colonisation comme un événement plus désastreux que positif d'un point de vue humain. Cet épisode sur l'enfance du personnage, bien que paru en hors-série, colle donc parfaitement à la logique des neuf albums de Lester Cockney, car il permet de mettre en lumière la première situation coloniale que connaîtra le héros, à savoir celle de l'Irlande. Elle permet également à l'auteur d'exprimer, en plus de son amour de la verte Erin, sa passion pour les chevaux et les femmes, passion que partage bien évidemment son héros.

Lester Mahoney est le fils de Shannon Mahoney et d'un marin anglais, dont on ne connaît que le prénom, Lester, et son horrible accent de cockney, terme désignant
 un habitant du faubourg est de Londres, issu de la classe ouvrière. Si on en sait si peu sur son père, c'est que le marin a séduit Shannon un jour de marché, la couchant dans la paille le soir même. Le père de Shannon, Angus, trouvant sa fille qui n'avait jamais quitté la maison dans les bras d'un envahisseur, tabasse sauvagement le marin et enferme sa fille, décidant de ne plus jamais lui adresser la parole. Il en sera ainsi jusqu'à la venue au monde de Lester, nommé comme son père à l'ultime demande de Shannon. Sa fille tant adorée morte, Angus la suivra dans la tombe quelques temps après, abattu par le chagrin. Lester Mahoney, orphelin, sera élevé par sa tante Maisie O'Brien, et ce ne sera pas facile tous les jours. Comme la faute des parents retombe souvent sur les enfants, le jeune Lester sera considéré par tous comme un fils d'Anglais, d'où son surnom de Cockney, et généralement haï pour cela. Les seuls qui ne lui tiennent pas rigueur de cette ascendance sont bien évidemment les Anglais, qui se comportent en maîtres sur l'Irlande, mais qui bien sûr ne voient en Lester qu'un pouilleux d'Irlandais.

A travers les deux histoires qui se tiennent dans cet album, c'est la domination anglaise sur l'Irlande qui est mise en avant. Hautaine, brutale et méprisante, elle est le fait d'aristocrates et de militaires particulièrement mal embouchés qui abusent de leur situation pour un profit personnel, ou bien sont les jouets de leur identité, tel Lord Terence Ambrose Maguire, Duke of Crannog and Killbereney, Earl of Glenvarough (et oui, tout ça !) qui arbore un comportement méprisant à l'égard des Irlandais, plus par étiquette que par véritable conviction personnelle. Surnagent malgré tout quelques Anglais plus dignes que la moyenne, capables de faire basculer les situations et d'envisager de punir ceux qui abusent de leur position d'envahisseur, mais il s'agit surtout de femmes, ou d'hommes inspirés par des femmes, et ainsi Franz exprime son appréciation pour le sexe dit faible.

Le plus remarquable dans cet ouvrage, sorti des deux histoires, c'est leur cadre. Franz ouvre son cœur et laisse déborder sa passion pour l'Irlande, et en ce sens les titres des deux albums laissent peu de doute sur la question. Il s'agit en effet d'une l
ongue ode à l'Irlande. A son peuple tout d'abord, stupide parfois, querelleur souvent mais fier toujours. Franz évite pourtant d'en faire des saints et il montre sans détour leurs défauts, de ce père qui ignore et répudie sa fille sous le coup d'une colère vive, mais qui la suivra de peu dans la tombe, ne pouvant survivre à sa perte ; de ces enfants que la bêtise et la méchanceté poussent à envisager le meurtre pour des raisons futiles, mais qui restent néanmoins des êtres fragiles, pris dans la tourmente du joug anglais, dans une Irlande rurale où l'école la plus proche est à plusieurs heures de marche. Franz célèbre également la nature irlandaise, grandiose et sauvage, belle et âpre. Cette nature qui façonne le caractère des hommes, porte en elle la même duplicité. Ainsi, l'auteur en exprime la grâce en faisant honneur à ses chevaux, auxquels Lester "Franz" Cockney porte un tel amour, et en expose la rudesse par le bélier Big Stone, symbole d'une nature hostile mais aussi d'une méchanceté vaine des Irlandais envers eux-mêmes, aspect fratricide qui disparaîtra presque totalement dans Shamrock Song, après que Big Stone, grièvement blessé par Lester, l'anglo-irlandais, se jette dans la mer à la fin de Irish Melody.

Cet excellent ouvrage, malgré l'intérêt de son sujet et le grand talent de feu son auteur, est parfois desservi par le système narratif mis en place, très inspiré du cinéma (impossible de ne pas penser à The Quiet Man de John Ford), qui bien qu'offrant une véritable vie à l'ouvrage lui en donne parfois, et c'est le comble, trop. Le mouvement imprimé par l'auteur à certaines situations dépasse la capacité d'analyse du lecteur qui perd un peu le fil d'une action qui, passant d'un lieu à un autre, met en scène plusieurs Irlandais aux cheveux blonds ou roux dont on n'a pas eu le temps de bien enregistrer les noms. Ce léger point donnant parfois à la lecture un rythme hésitant, l'album n'en reste pas moins un travail accompli et un véritable plaisir de bédéphile, assorti ça et là d'une réelle et profonde poésie.