Les Aphrodites - tome 2 - Le masque aveugle
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 12/12/2011 (Tags : aphrodites dynamite volume tome murzeau emmanuel tabou
Un ouvrage surprenant dans la lignée du premier tome qui demande une certaine concentration mais qui en vaut la peine.
On a déjà évoqué la beauté du dessin des Aphrodites concernant le premier tome et là-dessus, on garde la même qualité graphique avec ce traitement si particulier, comme un travail en rond de bosse que l’on aurait envie de caresser. Ici, pas de surprise vu qu’il s’agit de la suite directe du premier opus traitée avec autant de minutie et de soin.
Mais si l’album atteint une originalité graphique proche de la perfection, il a un très gros défaut, c’est qu’on s’y ennuie un peu. Le langage ampoulé d’Andréa de Nerciat
Olympiatransposé directement en bande dessinée perd un peu de sa cohérence. Même si l’on comprend le propos de l’auteur, hédoniste, pour la libéralisation des mœurs, décrivant les plaisirs liés à la sexualité consentie à l’opposé d’un Sade enclin à mettre en avant la violence et dont les personnages ne seraient pas restés s’ils avaient eu le choix, on perd des clefs par rapport au texte original et souvent, on décroche. Sans doute est-ce une question d’habitude et il est vrai que le traitement réservé aux Aphrodites surprend dans le mélange de genres mais si l’on apprécie les différentes scènes de l’album, il est en effet plus difficile de suivre le fil conducteur. A force de sous-entendus et de subtilités, on en perd la trame du récit et il est parfois pénible de retrouver les personnages qui de plus ont tendance à se ressembler comme Celestine et Mme Durut, bien que cela soit excusable par leur lien familial. C’est donc un ouvrage difficile d’accès, comme on pouvait déjà le supposer dans le premier tome, ce qui n’empêche pas de nombreuses qualités. Notamment, on pénètre dans cette « maçonnerie galante » (l’expression est d’Apollinaire) avec tout ce que cela
Appel masquépeut promettre de mystère et d’excitation. L’entrée de la demeure des Aphrodites est réservée à une certaine élite, en témoigne le traitement réservé aux rustres, encagés et soumis au bon vouloir de la maîtresse de maison, mais pour les initiés, c’est une maison des plaisirs telle qu’il n’en existe habituellement que dans l’imagination fertile des romanciers et le lecteur, de fait, appartient à cette deuxième catégorie.
C’est un ouvrage qui a besoin de maturité et si la première lecture peut paraître confuse pour un lecteur du XXIeme siècle, la relecture n’en sera que plus agréable pour démêler les aspects politiques sous-jacents et les enjeux sociaux qui se mettent en place tout le long du récit. Car il ne faut pas oublier que la sexualité est un outil contestataire, et même si les Aphrodites n’ont pas vocation à changer le monde, en cette veille de Révolution Française où les riches s’expatrient, il est difficile de ne pas aborder le politique. Il y a donc beaucoup de pistes de lecture, ce qui est plutôt bienvenue dans un ouvrage érotique.
Dans ce deuxième opus, on entre plus avant dans le monde des Aphrodites en
Rencontreparticulier et celui du plaisir en général sur fond de manipulation de Cour qui n’est pas sans rappeler le jansénisme politique d’un Aramis. Le masque dont il est question dans le titre permet à un homme de découvrir l’extase privé de l’un de ses sens, sorte de doux masque de fer qui libère l’homme plutôt que de le soustraire à la vie. Dans ce jeu érotique, la marquise de Fiéremotte use du stratagème pour s’attacher avec d’autant plus de force un jeune homme qui servira ses desseins, toujours aidée par Mme Durut véritable chef d’orchestre de la communauté mais il faudra attendre la fin de la trilogie pour découvrir la clef de tous les mystères de ce vaudeville à tiroir.
Pour conclure, les Aphrodites n’est pas un ouvrage facile d’accès mais en ce qui concerne l’érotisme et il en est de même pour la plupart des choses importantes dans la vie, ce qui est facile n’a que peu d’intérêt et il est plus enrichissant de prendre le temps de percer à jour les mystères qui nous entourent plutôt que d’avoir les solutions toute faites. Il serait regrettable de passer à côté d’un tel ouvrage qui vaut aussi bien par sa qualité graphique que pour sa richesse narrative et son approche philosophique du corps et de ses plaisirs, même si cela demande un effort de compréhension et une réflexion plus approfondie que pour une bande dessinée ordinaire.