8/10Les années Pilote

/ Critique - écrit par Maixent, le 13/01/2012
Notre verdict : 8/10 - Cours de pilotage (Fiche technique)

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Un album de bonne facture mais même si l'on retrouve le style inimitable de Reiser, il manque ce côté bête et méchant si séduisant.

On l’a déjà vu par ailleurs, Reiser n’est pas homme à compromissions, mais cela ne l’empêche cependant pas de pouvoir s’adapter au public visé, sans pour autant perdre de son ironie et de son humanité.

Les planches proposées ici, destinées à un lectorat plus jeune, sont moins rentre-
Couleurs sur le monde
dedans que celles que l’on a pu voir dans Hara-Kiri ou dans d’autres albums comme
On vit une époque formidable ! ou Gros dégueulasse mais si elles ne sont pas empreintes d’une vulgarité crasse et délicieuse, elles méritent un intérêt certain comme celui, par exemple, de faire découvrir Reiser aux enfants afin de développer leur sens critique. Même si ces derniers passeront sans doute à côté de nombreux éléments, comme c’est le cas dans la plupart des supports qui leurs sont destinés, de Happy Feet à Téléchat en passant par les contes de Perrault, Reiser peut leur insuffler une certaine curiosité et un sens critique qui leur sera salutaire par la suite. En effet, même s’il n’y a pas de sexe, pas de violence gratuite, pas de racisme dégénéré, bref, s’il n’y a pas tout ce qu’on a retenu au premier abord dans Reiser, on conserve tout le reste, à savoir la politique, l’écologie, l’absurdité du monde moderne et autres thèmes chers à l’auteur. Pour ceux qui connaissent déjà Reiser, ce sera également le moyen de découvrir une partie moins mise en avant de son œuvre qui a tout de même son importance.

Il faut aussi se souvenir que Pilote ce n’est pas n’importe qui. Dans les couloirs, on pouvait croiser Gotlib, Goscinny, Cabu, Fred et des dizaines d’autres qui sont maintenant des références incontournables de la bande dessinée française. Dans ce
L'éléphant alcoolique
vivier productif, Reiser est à la meilleure école que l’on puisse imaginer et ce jeune homme de 25 ans, qui y restera jusqu’à ses 31 ans, façonne petit à petit son imaginaire, se dédoublant petit à petit entre la presse Choron et la presse Dargaud. On assiste donc ici à la naissance d’un grand auteur de bd, capable de s’adapter au support, conscient des enjeux et maîtrisant son art jusqu’à la perfection.

Au niveau du dessin, même si l’on reconnait dès le départ le style Reiser, en étant attentif, on voit une réelle progression. Le trait devient plus anguleux, allant à l’essentiel, se détache petit à petit du classique dessin de presse pour acquérir sa propre personnalité. Les personnages et l’absence de décor sont là, tout est en place pour l’esprit Reiser et près de 300 pages détournant les faiblesses de la société qui l’entoure.

Pour la nouvelle génération, les références seront parfois un peu obscures comme celles au Cuirassé Potemkine et au fameux landau dévalant les marches, ou Haroun Tazieff offrant une maison à ses parents près d’un volcan. Mais même si les noms ont changé et que l’on ne parle plus en franc, les histoires restent les mêmes et certaines choses sont immuables comme le « totem de la mesquinerie », à savoir ce stylo ridicule attaché à une chaînette dans les administrations pour éviter les vols. Reiser possédait cet esprit tortueux et railleur propre à faire rire et même si ce n’est pas son meilleur album, tout son univers est là et c’est toujours un plaisir.