La Légende du Changeling - Chapitre 1 - Le Mal-Venu
Bande Dessinée / Critique - écrit par athanagor, le 29/08/2008 (L'union de ces deux artistes, professionnels de la traque du lutin en zone péri-urbaine, offre une BD d'une qualité rare. A conseiller aux amateurs du genre et à tous ceux qui refusent de le devenir.
Assez régulièrement, peu ou prou tous les cent ans, les fées kidnappent un bébé, comme ça, pour voir. Voilà typiquement le genre de galère dans laquelle on ne souhaite vraiment pas se voir impliqué. Pourtant c'est bien ce qui va arriver à la famille Jobson. Le petit Peter, à peine né et laissé à la garde de sa jeune sœur
Sheela, va disparaître dans la minute d'inattention pendant laquelle la jeune fille course un papillon. Persuadée que son fils n'est pas entre les mains de gitans de passage, mais bien dans le royaume des fées, sa mère va les supplier de lui rendre son enfant par un rite à la limite du catholicisme. Ses prières entendues, elle se retrouve avec un bébé pas tout à fait pareil, mais s'en contente pourtant. Le petit Peter "Scrubby" Jobson grandit alors dans la lande du Dartmoor, et se plaît à vagabonder dans les bois où il se sent bien, avec ses amis à fourrures et à feuilles. Lors de ses pérégrinations, il rencontre le vieil homme de la forêt de Wistman, bois de tous les sortilèges, qui va lui apprendre à aiguiser son don de communion avec la nature, don qu'il partage avec sa sœur, jusqu'à pouvoir apercevoir les êtres qui en peuplent les moindres recoins. Mais si cet enfant possède ce don et attise l'intérêt du vieil homme, dont l'un des noms est Merlin, c'est que le jeune Peter semble être la clé d'une prophétie qui se met en branle.
Malheureusement, les saisons désastreuses se succédant, la famille Jobson se voit contrainte à déménager pour Londres afin de trouver du travail. Bien qu'assuré par le vieil homme que les esprits existent aussi dans cette ville gigantesque, c'est le cœur lourd que Peter quitte son "pays" natal. Se comportant à la ville comme à la forêt, Peter comprend vite que des dangers bien plus sérieux s'y profilent, et notamment ce mystérieux homme aux yeux rouges, déjà responsable de leur exode, et qui semble attirer malheur et désolation.
La linéarité de la narration de cet ouvrage, centrée presque essentiellement sur le personnage de Peter, et qui aurait pu lasser, est sauvée et sublimée par l'extraordinaire poésie qui émane des textes de Pierre Dubois, l'elficologue auteur de la Grande Encyclopédie des Fées. Contée comme le serait une ancienne légende au coin du feu, on est bercé par l'optimisme simple et apaisant qui donne à cette histoire, malgré ses
travers parfois désastreux, un rythme parfait. Ne s'attardant sur les descriptions que dans une exacte mesure pour ne pas ennuyer sans en négliger l'importance pour la compréhension, les textes sont ciselés pour offrir une lecture coulante et passionnante. On sent là l'habitude, le métier et le talent d'un auteur qui aime son sujet et sait trouver le mots justes pour en faire des récits dans un dessein didactique et distrayant.
L'incroyable justesse avec laquelle les illustrations accompagnent et complètent l'ambiance de la narration, donnerait à se demander si le scénariste et le dessinateur n'était pas une seule et même personne. Mais non, le dessin est l'œuvre de Xavier Fourquemin qui insuffle une vie et une réalité surprenante à ce conte poétique et merveilleux. Les arbres, et plus tard les immeubles, les perspectives, les animaux et les êtres magiques sont d'une vivacité et d'une présence troublante. Mais le signe le plus sûr de ce talent, c'est cette capacité à transmettre avec énormément de tact la justesse des sentiments humains, exprimés par des personnages dont les traits sont caricaturaux (opposé à un dessin réaliste s'entend), ainsi de cette mère secouée d'effroi et d'incertitude à la disparition de son enfant, dont la folie naissante et grandissante se lit dans chacune des expressions de son visage, pourtant si loin d'un réalisme photographique.
L'association de ces deux superbes conteurs donne naissance à une atmosphère d'une qualité rare, qui perdure et
s'imprègne dans tout l'album, submergeant le lecteur jusqu'à éveiller dans son esprit les sons de la forêt, les odeurs de la ville et l'angoisse suant des murs de ses bas-fonds. Au final, porté par le flot de l'histoire, on adhère simplement à cette réalité transcrite, au point d'avoir un étranglement de gorge, peut-être jusqu'à une montée de larmes, dans la séquence de la charge de l'armée sur les manifestants de ce dimanche 13 novembre 1887, à Londres.
Un formidable ouvrage donc, qui nous offre du merveilleux et nous alimente en rêves, et que l'on veut relire, encore et encore jusqu'à l'arrivée du tome 2, que l'on accueillera avec un grand « merci ».