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9.5/10Justine & Juliette de Sade

/ Critique - écrit par Maixent, le 23/06/2013
Notre verdict : 9.5/10 - De vice et de vertu (Fiche technique)

Romans philosophiques à la manière de Voltaire ou de Swift qui se servaient de la fiction pour mieux expliciter leurs idées, les aventures de Juliette et Justine forment un diptyque antagoniste confrontant le Bien et le Mal selon une vision sadienne donnant lieu à une réflexion plus complexe qu’un manichéisme primaire. Le fil conducteur est déjà explicite dès les titres choisis, Justine ou les malheurs de la Vertu s’oppose à Juliette ou les prospérités du Vice, publiés respectivement en 1791 et 1801, pour simplifier, l’aventure éditoriale des écrits de Sade étant toujours un roman en soi. On suivra donc les tribulations de cette pauvre Justine, luttant pour conserver son honneur, souffrant de la brutalité du monde, image parfaite du malheur, torturée, battue, violentée, et bien plus encore et celles de Juliette, se vautrant avec grâce dans le stupre, la débauche, l’ignominie, voire le meurtre et profitant des bienfaits de la richesse et du plaisir.

En 2005, Raulo Caceres, maintenant connu pour ses collaboration avec 
Cercles infernaux

Warren Ellis mais aussi ses œuvres personnelles plus proches de la bande dessinée horrifique alliant souvent sexe et monstruosité dont un ouvrage sur la tristement célèbre Elizabeth Bathory, décide d’intégrer ces deux histoires en un seul récit dont Juliette sera la narratrice. Se réappropriant totalement l’histoire tout en gardant ce qui a fait la force des écrits de Sade, il réalise un tour de force narratif, allié à un dessin virtuose et complexe, rendant hommage tant par la structure et la construction du récit que par la mise en place d’une cohérence graphique renforçant l’horreur et le plaisir mêlés de l’ensemble.

Sans aller jusqu’aux déformations physiques monstrueuses de Blanquet ou de Dave Cooper mais avec autant de talent dans le rendu des traits et
Lâchez les chiens
des corps, Caceres joue avec les ombres et la noirceur de son trait pour un rendu sublime. Les vicissitudes pour l’une, les plaisirs pour l’autre sont exploitées avec brio, faisant participer le lecteur grâce à un traitement des corps de toute beauté, comme une danse macabre transmettant la violence des sentiments par le simple mouvement du trait d’encre. Chaque image prise individuellement confère à l’ensemble une force profonde mais c’est d’autant plus sur le travail de la planche, voire des doubles planches que l’effet se ressent. La composition participe de l’histoire sans pour autant la perturber, renforçant l’intensité du propos. On pourrait par exemple citer cette double page formant des cercles concentriques rappelant l’Enfer de Dante qui voit l’épouse d’un libertin assaillie par trois jouisseurs sans aucune moralité ni retenue, la faisant sombrer au plus profond du gouffre. Quid des grandes images pleine page où l’on pourra voir Justine dévorée par des chiens dans une composition pyramidale rappelant les tableaux de la Vierge à l’enfant de la Renaissance dans une vision morbide et sanguinolente. Chaque vignette a sa place dans le récit, apportant sa touche à un ensemble monumental sans jamais un effet gratuit ou déplacé malgré la violence des sujets abordés.

En effet, on connait la violence de Sade, ce n’est pas par hasard que son
Faire confiance aux médecins
nom a été associé au sadisme mais rarement elle a été aussi bien compris et mise en image. Quiconque a lu des ouvrages du Marquis ou était confronté à une mise en image comme le Salo de Pasolini n’a pu en ressortir indemne et Caceres participe à cette confrontation. Pas de censure mais bien au contraire un souci du détail qui confine au maladif. Toutes les dépravations sont traitées de manière égale mais jamais dans la langueur amoureuse. Les tortures sont intimement liées au plaisir, entrainant les héroïnes à se confronter à tous les vices et si le ressenti pour chacune est différente elles connaitront fétichisme, sodomie, urologie, partouze, triolisme, fouet, torture, coups, viols et bien d’autres joyeusetés qu’il serait vain d’énumérer ici tant l’imagination de Sade est sans limite.

Mais si le sexe et la violence sont des héros à part entière, il ne faut pas oublier Juliette et Justine. La première est donc la narratrice, contant les
Juliette
malheurs de sa sœur à l’un de ses amants, et agrémentant le récit de ses propres expériences, mettant ainsi d’autant plus en évidence la différence entre deux parcours de vie. Juliette, est brune, sans aucun principe et ne croyant en rien, voyant la vie comme un terrain de jeu et bien décidée à y prendre sa part sans s’encombrer d’une moralité de bien-pensants. Libertine et orgueilleuse à l’excès, elle excelle dans l’art de la prostitution, se taillant une place dans le monde à la force de son con et de son esprit dépravé. Justine est un modèle de vertu allié à une ingénuité d’attardée, d’une malchance proverbiale et d’une sensibilité de péronnelle ce qui la fait tomber dans tous les pièges de la vie. Attachée à sa virginité comme à un trésor, sa blondeur sera d’autant plus souillée par tous ces malfaisants qui abuseront d’elle.

C’est donc une remarquable adaptation de Sade qui a su conserver toute sa philosophie et sa dépravation tout en y apportant une touche de modernisme. Au lieu de se servir d’un matériau existant, Caceres a réussi le pari de le transcender, d’apporter à des ouvrages déjà majestueux une touche profonde qui ne peut pas laisser le lecteur indifférent.