9.5/10Himalaya Vaudou

/ Critique - écrit par athanagor, le 28/09/2009
Notre verdict : 9.5/10 - Le père Noël noir (Fiche technique)

Tags : pages himalaya bernard rochette jean nouvelle vaudou

Fred Bernard et Jean-Jacques Rochette proposent ici un one-shot qui, sur fond de catastrophisme écologique, se révèle être un ouvrage à la limite de l'essai de psychologie.

Trois personnalités sont dépêchées en plein Himalaya pour interviewer le père Noël. Mais attention, il ne s'agit pas du gros bonhomme barbu qui distribue des cadeaux le 25 décembre à dos de renne. Son nom est Noël Bodombossou et il est né en Afrique, d'une famille fortunée qui lui permit de faire des études d'économie à Paris puis à New-York. Il est devenu très vite populaire en faisant de nombreux dons à des associations et autres œuvres caritatives, avant de faire paraître un ouvrage où il fustige avec
intelligence et mordant la bêtise de notre époque. Il sort un dernier livre, plus abstrait, sur le vaudou et son application en politique puis disparait de la circulation pendant deux ans. Il refait surface il y a peu, quand il revendique la transformation en animaux des présidents américains et russes. D'autres transformations suivront, qu'il appellera ses cadeaux, faisant revivre l'intérêt populaire pour ce personnage hors du commun, et justifiant la présence des trois personnalités sur l'Himalaya pour le rencontrer.

C'est, dès le début de l'album, avec beaucoup de plaisir que l'on découvre les trois personnalités qui vivent cette aventure. La communication autour de l'ouvrage nous ayant moitié vendu la mèche, moitié posé une colle, on est, avant même de commencer, pris au jeu. Pourtant le secret est bien vite levé car cet aspect est loin d'être le seul atout de la BD. Développant une histoire construite, logique et agréable, les auteurs, dans un univers sombre et dépouillé, posent les bases d'une réflexion sur le devenir de notre planète et se garde bien de fournir une réponse définitive. Jonglant entre humour et sérieux, le scénario de Bernard expose les points de vues que portent les deux vraies figures de l'aventure.

D'un côté il y a cet homme, ce mage fortuné, dont la personnalité complexe transpire dans toute l'ambiance du livre. Les grands espaces blancs de l'Himalaya sont le désert dans lequel il a assis sa solitude et l'illustration sombre fait écho à l'amertume qui semble accompagner les regards qu'il porte à ses hôtes, reflets de ceux qu'ils posent sur l'espèce humaine. Curieux mélange pour cet homme qui confesse son amour pour l'humanité, mais avoue sa préférence pour la planète. Malgré sa démarche folle, il est pourtant difficile de ne pas l'écouter, ni de le comprendre. Devant la bêtise et l'immobilisme des hommes et la facilité avec laquelle ils assassinent leur monde, il ne voit d'autres possibilités que de les changer en animaux.

De l'autre côté, on trouve le narrateur, un des trois interviewers dont le personnage réel auquel il se réfère n'est pas choisi au hasard. Malgré
le fait qu'il partage une analyse très proche de celle du père Noël, il a une foi inaltérable en l'être humain et croit avec force que l'on peut parvenir à rétablir les choses. Mais on a du mal à abonder dans son sens, tant l'atmosphère pessimiste de l'ouvrage imbibe implacablement l'esprit du lecteur d'un fatalisme justifié. Ce personnage qui, de tous les intervenants, est le plus proche intellectuellement de Bodombossou, résiste pourtant à ses idéaux. Dans cette position, et instinctivement, on finit par l'associer à une clarté qui contrasterait avec la noirceur défaitiste de Noël. Pourtant, et en cela l'ouvrage est touchant, la conclusion l'attache indéniablement à la noirceur de l'ensemble jusqu'à forcer à se demander s'il n'en pas toujours été le porteur. L'indécision et l'incertitude s'installe alors et dépassent ce simple point dans un final où on ne sait plus trop quoi penser et où on n'est plus sûr de rien. Les derniers agissements des protagonistes et la conclusion de l'album s'ouvrant à chacune des possibilités.

Le tout est porté par le trait évolutif de Rochette, qui sait faire des illustrations simplement au service de l'histoire et des situations en présence, avec un talent égal, qu'elles soient anodines, comiques ou tragiques. Mais il sait aussi transcender son art et déchaîner la force qui se terre dans toutes ses cases, mêmes les moins remarquées. Les 20 dernières pages sont saisissantes de vie et laissent deviner, dans les yeux de ceux que l'on suit, les sentiments profonds auxquels on ne peut s'empêcher de s'associer. Pourtant épuré dans les lignes, le travail est admirablement secondé par les couleurs qui subliment l'expression envahissante du trait très noir. Les premières pages que l'on peut d'ailleurs voir sur le site de Glénat sont d'assez bons indicateurs du talent du bonhomme et laisse deviner à quelle intensité d'émotion il est capable de monter.

Avec un message complexe qu'ils ne cherchent pas à clarifier, pour ne pas se poser en donneurs de leçon, les auteurs, plus qu'une fable écologique, proposent une observation de l'homme. Malins, animés, stupides, convaincus, violents ou désemparés, parfois caricaturés, parfois profondément représentés, leur exposition face à ce problème d'ordre général, qu'ils ne peuvent ignorer, les soumet aux extravagances de leur nature, avec la même imprévisibilité qu'une succession de pics montagneux. En ce sens, et respectant dans leur représentation la subtilité qui naît de la situation, les auteurs offrent un ouvrage d'une grande poésie.