7.5/10Gil Jourdan - Tomes 1 à 4

/ Critique - écrit par riffhifi, le 18/06/2009
Notre verdict : 7.5/10 - Réveillons Jourdan (Fiche technique)

Tags : jourdan gil tillieux eur tome integrale album

Le premier volume de l'intégrale Gil Jourdan a de quoi ravir les amateurs : quatre albums au lieu de trois, un passionnant dossier de 28 pages et les couvertures de l'époque composent ce tribut aux années 50.

Cinquante ans après sa première parution en album, cinquante-trois ans après sa
création, Gil Jourdan a enfin droit au traitement de luxe réservé par Dupuis à ses séries les plus prestigieuses. Le premier volume de l'intégrale s'avère même plus éblouissant que ses confrères, puisqu'il réunit les quatre premiers albums et se dote d'une introduction longue et particulièrement fouillée. On y apprend notamment que Gil Jourdan, Croûton et Libellule sont essentiellement des répliques du trio déjà formé précédemment par leur papa Maurice Tillieux (Félix, Cabarez et Allume-Gaz, dont les aventures paraissaient dans Heroïc-Albums). L'événement permet surtout de se procurer les albums, tout simplement, car ils n'étaient plus que difficilement disponibles en librairie depuis un bon moment.

Libellule s'évade + Popaïne et vieux tableaux

En bon fan de Tintin, Tillieux impose dès les débuts de Gil Jourdan une histoire en deux tomes. Le pari est risqué, mais il compte bien avoir les coudées franches chez Spirou, où il vient de débarquer. Reprenant la trame d'une aventure de Félix, il se voit obligé de renommer la cocaïne en "popaïne", censure oblige (nous sommes en 1956 !). On ne rigole pas avec ce qui passe sous les yeux de la jeunesse, et le scénariste-dessinateur doit jongler avec les différentes composantes de son travail : respecter son propre goût pour le cinéma et les intrigues policières, rester fidèle à la rigueur d'un Hergé, et satisfaire la rédaction et le lectorat de Spirou en
livrant une BD au ton humoristique et aux personnages expressifs (il sera néanmoins toujours en porte-à-faux avec le style "gros nez" de l'école de Marcinelle).

Libellule s'évade montre ses trois héros dès la première page, et il ne lui en faut pas plus de huit pour les avoir tous les trois présentés, caractérisés et mis en situation. On apprend dès la première case que Libellule s'appelle en réalité André Papignolles (cette information ressurgira-t-elle ne serait-ce qu'une seule fois par la suite ?!), et la dynamique qui s'installe dans le trio fonctionne brillamment : l'inspecteur Croûton veut mettre la main sur le prisonnier Libellule, tandis que ce dernier est protégé (et exploité) par le malin détective privé Gil Jourdan. Il faudra toute la durée des deux albums pour que l'alliance entre eux se forme véritablement, Croûton apparaissant dans un premier temps comme un troisième homme indésirable et nuisible à l'enquête. Affligé d'une malchance crassé et d'un manque de discernement chronique, il est déjà la victime des calembours douteux (donc géniaux, au sens Krinein du terme) de Libellule. Quant à la fidèle Queue-de-Cerise, secrétaire de Gil (oui, à l'époque toutes les femmes étaient secrétaires, demandez à OSS 117), elle s'affirme dans Popaïne et vieux tableaux comme une jeune fille débrouillarde et plutôt moderne pour l'époque (elle porte les cheveux courts !). Entre le premier et le deuxième tome, le chapeau jaune de Libellule devient inexplicablement vert.

La voiture immergée


Morbihan, Bretagne. Nikita Zix (quel nom !) s'aventure sous une pluie torrentielle aux alentours du château de Pas-du-Malin. Pas bien malin non plus, il se fait submerger par la marée montante et se noie. Mais n'y aurait-il pas une sombre machination là-dessous ?... Tirant davantage du côté d'Agatha Christie ou de Maurice Leblanc, La voiture immergée constitue la preuve la plus flagrante de l'influence de la littérature policière sur Tillieux. En sus de son histoire de disparitions, de messages codés et de malfaiteur tapi dans l'ombre, l'album exploite pour la première fois le trio Jourdan-Libellule-Croûton, qui se révèle hilarant. L'ensemble possède néanmoins un ton rétro et un classicisme façon Tif et Tondu qui ne plairont pas à tous les lecteurs d'aujourd'hui. Les autres admireront le superbe slip kangourou de Gil, manifestement tenu par une petite ceinture (!) et exhibé sur pas moins de trois pages consécutives.

Les cargos du crépuscule

Ce quatrième album est sans doute le moins satisfaisant de la fournée : partant d'une idée curieuse (un détenu s'évade en faisant des bonds de kangourou qui le propulsent au-dessus des murs de la prison), affichant un style graphique plus
cartoonesque que les précédents, Les cargos du crépuscule est manifestement le résultat d'une pression infligée à Tillieux pour se couler dans le moule Spirou. Chassez le naturel, il revient par la fenêtre : le scénario reste assez sombre grâce aux promesses d'assassinat brandies au-dessus de la tête de l'avocat de Jo la Seringue, le prisonnier en fuite. Par ailleurs, la relation Croûton-Libellule repose sur une dynamique croustillante (l'ex-taulard traite le flic intègre de tricheur pendant tout l'épisode), et l'enquête laisse progressivement la place à l'action, que Tillieux maîtrise particulièrement bien : son découpage très cinématographique insuffle un rythme impeccable aux courses-poursuites.

Détail essentiel : Libellule est de nouveau coiffé d'un chapeau jaune, qui gardera cette couleur dans les albums ultérieurs. Il gardera également, comme la plupart des personnages de la série (Jourdan excepté), une clope au bec qui ferait bien mauvais effet de nos jours dans une publication destinée à la jeunesse.


« Aussi vrai que je suis Croûton, fils de Croûton et petit-fils de Croûton, ceci est bien mon jour de gloire !!

- Ce n'est pas une famille, c'est un garde-manger ! »