8/10Feux - Tome 1 - Fille des Reptiles

/ Critique - écrit par iscarioth, le 08/04/2005
Notre verdict : 8/10 - Jurassique Surprise (Fiche technique)

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Au feuilletage, Feux n'attire pas forcément. Voir des dinosaures tailler la pierre et porter des vêtements provoque de malicieux sourires. Mais, au final, c'est une très bonne surprise

L'histoire

Un monde étrange peuplé de grands reptiles. Les dinosaures possèdent un empire, un chef, savent se vêtir et faire la guerre. Ils ont aussi une conscience collective et savent écrire leur histoire. C'est leur histoire, justement, qui va être bouleversée par l'arrivée d'une enfant venue de l'espace : Feux.

Deux grands noms

Philippe Tome et Marc Hardy sont deux grands noms de la bande dessinée franco-belge. Si leurs patronymes ne vous parlent pas, un bref rappel de leurs séries phares s'impose. Philippe Tome est célèbre pour ses deux grandes séries à succès : Le Petit Spirou, avec Janry au dessin et Soda, en collaboration avec Luc Warnant. Marc Hardy, lui, est surtout renommé pour avoir scénarisé tous les albums de Pierre Tombal, le plus aimé des fossoyeurs (22 albums depuis 1986 !). Les deux auteurs sont connus pour avoir dessiné, scénarisé, sur des séries souvent très humoristiques. A la vue de Feux, on peut être étonné de les voir se livrer à un projet qui semble très éloigné de leur registre habituel.

L'empire des dinosaures

On connaissait Lova, l'enfant élevée par des loups. On connaissait Nao, la petite tête blonde qui a grandit sur Aquablue. On connaissait aussi Nävis, la belle et sauvage gamine de la planète Sillage. Voici maintenant venir Feux, jeune fille rousse élevée par... des dinosaures !
En BD, on connaît bien le genre animalier. Blacksad, Canardo, La Vache... Les exemples de BD mettant en scène des animaux de toute sorte aux particularités très humaines ne manquent pas. Avec les dinosaures, la chose est beaucoup plus rare. Mis à part le délirant Nabuchodinosaure de Herlé et Widenlocher, il n'y a pas beaucoup de sauriens, du coté du neuvième art. On connaît bien quelques exemples de dessins animés comme la série du Petit Dinosaure. Mais aucun ouvrage ou film de la sorte ne concerne réellement le public adulte. Pour cette raison peut-être, on peut penser de Feux qu'il est un conte plutôt juvénile. Ce n'est pas le cas. Il suffit de peu de temps pour se rendre compte que ce premier tome n'est pas avare en effets sanguinolents et qu'il est à déconseiller aux plus jeunes.

Une apparence manichéenne

En lisant ce premier tome, il faut peu de temps pour distinguer les « méchants » des « gentils ». Les carnivores, sanguinaires, cruels et violents, s'opposent aux herbivores, paisibles et pleins de sagesse. Graphiquement, tout est fait pour souligner l'agressivité des tyrannosaures et autres carnivores : les gueules sont sévères, les yeux uniformément jaunes, sans pupilles, les dents sont aiguisées comme des sabres et les mouvements sont impulsifs. Pourtant, et c'est assez rare, ce manichéisme n'empêche pas la profondeur du récit. Comme souvent dans la BD dite « animalière », les thèmes abordés relèvent de l'histoire humaine : domination, oppression, religion, vassalité, empire, conquêtes, chefs... La façon dont Philippe Tome jongle avec les relents de la nature humaine est assez impressionnante de profondeur. Feux est aussi soutenu par une écriture parfaite, tant au niveau des dialogues que de la narration. Fille des Reptiles est un album extrêmement aéré, dans la lignée des histoires contemplatives qui fleurissent depuis quelques années (Où le regard ne porte pas). L'album est parsemé de phases silencieuses, pendant lesquelles le récit ne communique que par l'image. Les dix premières pages de l'album, qui se passent sans un bruit, sont très révélatrices de cette atmosphère. Cette fluide narration est soutenue par une mise en cadre impeccable, avec beaucoup de variations : pleines pages, formations horizontales, verticales, en dégradé ou régulières. On dépasse rarement, sur chaque page, les deux ou trois lignes de vignettes. On a réellement l'impression de lire une BD qui prend son temps à raconter, à mettre en scène et les effets sont immédiats : le lecteur est de suite plongé dans l'ambiance.

Hardy documenté et inspiré

Marc Hardy surprend beaucoup avec cet album. Lui qu'on connaît pour son dessin frénétique et caricatural (Lolo et Sucette, Pierre Tombal) nous transporte littéralement dans un autre monde, avec un trait réinventé, épuré et apaisé. On peut féliciter le dessinateur pour son travail effectué sur les dinosaures. Ses sauriens sont très impressionnants. Du côté de la coloration, le rendu est moins satisfaisant. Effectuée par une certaine Lady C, la coloration de Fille des reptiles déçoit. Les aplats et dégradés de couleur en arrière plan manquent de caractère et sentent un peu trop la fade colorisation faite à l'ordinateur.

Collection COSMO

Fille des reptiles, c'est aussi le lancement d'une nouvelle collection chez Dargaud : Cosmo, qui se propose « d'inventer le futur » de la bande dessinée, en mêlant des influences diversifiées. Une bande dessinée ne peut plus tenir sur 46 pages. Le neuvième art a évolué et une pagination nouvelle doit accompagner sa mue. Ce premier album de chez Cosmo est d'un format moyen plutôt habituel : 29 cm de hauteur pour 21,5 de largeur. Le nombre de pages s'élève à 80. Sur ce même modèle, vont suivre d'autres albums, d'ici un an, avec notamment, des auteurs comme Jean Dufaux et Jean David Morvan.


Au feuilletage, Feux n'attire pas forcément. Voir des dinosaures tailler la pierre et porter des vêtements provoque de malicieux sourires. Mais, au final, c'est une très bonne surprise. D'ailleurs, les seuls noms de Hardy et Tome doivent suffire à convaincre le lecteur de se plonger dans l'aventure. La parution du tome 2 de Feux est prévue pour septembre prochain. « Si ca marche, Feux sera constitué de quatre cycles de quatre albums de 80 pages. Tout est déjà au point » déclare Hardy en interview... Vivement la suite !