5/10Eva aux mains bleues

/ Critique - écrit par iscarioth, le 31/03/2005
Notre verdict : 5/10 - Désespérément neutre (Fiche technique)

Tags : dethan eva isabelle mains bleues album delcourt

Eva aux mains bleues inaugure la collection Mirages, lancée par Delcourt en 2004.

Depuis quelques années fleurissent les bandes dessinées dites 'intimistes'. Souvent appelées "romans graphiques", elles se proposent de toucher le lecteur avec des histoires simples, fidèles à la vie, sans pirouettes scénaristiques et fantastiques. On a aussi parlé, pour désigner ce type de BD, du genre "quotidien". Le genre, en pleine éclosion, connaît déjà de très belles réussites. Le succès allant, les sorties se multiplient et les maisons d'édition investissent beaucoup dans la prometteuse veine. Seulement voilà, pas de recette miracle, chaque genre connaît ses habituels écueils. Dans le cas de l'histoire intimiste, les deux principaux risques sont de tomber dans le nombrilisme ou dans l'ennui profond. Avec Eva aux mains bleues, Isabelle Dethan nous montre, très sûrement bien malgré elle, combien la BD intimiste peut-être irritante.

L'histoire

Eva, préadolescente épanouie (vous avez dit antonymie ?), nous présente sa famille, ses amis et ses réflexions sur la vie, alors qu'elle est en vacances chez sa grand-mère.

Le bien-être adolescent

« L'adolescence ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvaise mémoire ». Cette phrase est de François Truffaut. On connaît bien le prestigieux cinéaste pour s'être frotté plus d'une fois avec le thème adolescent. On peut penser à sa déclaration en lisant Eva aux mains bleues, qui nous présente une adolescence douce et paisible, sans tourments physiques ni mentaux. A en croire Isabelle Dethan, cette période de notre existence serait même l'une des plus stables et des plus lucides. Eva est une adolescente qui est en pleine conscience de ses mutations. Le final est à ce propos très significatif. On croirait observer les histoires fantastiques d'une trentenaire redécouvrant avec nostalgie ses premières années. Eva s'exprime comme aucun adolescent n'est capable de le faire, avec un champ lexical et des expressions qu'il est impossible de maîtriser à quatorze ans. De plus, la jeune fille jette sur la vie un regard paisible et souriant. Eva fait preuve d'un charisme et d'une stabilité émotive bien supérieure à son entourage adulte. On est donc face à une adolescence idéalisée, fantasmée et idyllique. Soit cette idéalisation est voulue par Isabelle Dethan, soit l'expression de Truffaut va comme un gant à la dessinatrice qui a besoin d'aller au plus vite à la rencontre du public adolescent pour se frotter aux réalités.

L'ennui profond

On en a parlé tout à l'heure, de dangereux écueils guettent la réalisation d'une bande dessinée « intimiste ». On raconte une histoire de tous les jours, mais il faut lui donner une âme. Dans les oeuvres de Craig Thompson, le quotidien prend une forme rêveuse et hallucinée (Blankets). Dans celles de Dupuy et Berberian, le quotidien est restitué d'une manière acerbe, presque satirique (Journal d'un Album). En lisant Eva aux mains bleues, on est face à ce qui semble être une désespérante neutralité. Le journal de la jeune adolescente n'est pas très agressif : à peine quelques critiques vis-à-vis du monde adulte. La famille de la jeune fille est très farfelue mais reste dans les cadres de la belle famille complète et attachante. Du début à la fin, Eva aux mains bleues n'est qu'une série d'anecdotes assez béates et naïves, trop complexifiées dans leurs formes pour faire penser à l'enfance mais trop lisses et joyeuses sur le fond pour renvoyer réellement à l'adolescence. Cette BD n'est toutefois pas à rejeter épidermiquement. C'est l'un des grands succès de 2004 : pas mal de gens se sont retrouvés dans les pages de cette bande dessinée. Les talents de dessinatrice et de coloriste d'Isabelle Dethan sont à souligner.

Aquarelle

Effectivement, esthétiquement, on n'a rien à reprocher à Isabelle Dethan. La jeune artiste confère à ses personnages une beauté pastelle, aérée. Le dessin gagne en intensité lors des gros plans. Les visages tirent leur force d'une coloration simple mais très maîtrisée. Les couleurs sont vives et chaudes. Sur tous les plans d'extérieur, on reconnaît les tonalités estivales, très plaisantes.

Contrairement aux apparences, Eva aux mains bleues n'est pas un one-shot. Il s'agirait du premier volume d'une série d'albums qui nous transportera à différentes périodes de la vie d'Eva. L'information est assez intrigante quant on connaît le contenu peu commun de cette BD. Eva aux mains bleues inaugure la collection Mirages, lancée par Delcourt en 2004.