8.5/10Etoile du Chagrin - Tome 1

/ Critique - écrit par gyzmo, le 09/11/2008
Notre verdict : 8.5/10 - Tous aux abriiiiiis !!! (Fiche technique)

Tags : chagrin etoile strzepek tome kazimir comics bdgest

Avec Etoile du Chagrin, les groupies de Hoppy Harrington, de Max Rockatansky, de Tetsuo Shima ou des habitants de l’Abri 13 ont de grandes chances d’être irradiés de bonheur…

Depuis le temps que Krinein navigue dans les eaux de Ca et Là, de jolies bulles d’air se sont formées à la surface de l’océan relativement calme que constitue le neuvième art vu à travers le prisme de nos chroniques. Des bulles oxygénées et téméraires par l’entremise desquelles le lecteur plus ou moins assidu de BD remonte à contre-courant le fleuve de l’imaginaire pour échouer sur les petites criques tranquilles du quotidien terre-à-terre de divers plumes et pinceaux d’origine exotique. Ce qui n’empêche pas la ligne éditoriale de Serge Ewenczyk de faire une ou deux entorses en publiant autre chose que du roman graphique autobiographique. L’année dernière, le bardé de récompenses Château l’Attente de Linda Medley avait bien plus fait qu’emballer nos seules pages critiques. Ce mois-ci encore, Ca et Là élargit sa frontière intimiste au fief démesuré de la SF post-apocalyptique grâce au dessinateur Kazimir Strzepek. Une audace de plus. Car avec cette Etoile du Chagrin – titre ô combien magnifique !, les groupies de Hoppy Harrington, de Max Rockatansky, de Tetsuo Shima ou des habitants de l’Abri 13 ont de grandes chances d’être irradiés de bonheur…

Ce petit format (16x16) simplement vêtu de noir et de blanc aurait pu ne pas payer de mine. Force est de constater que Etoile de Chagrin est une bombe à retardement. Pour plusieurs raisons. La première – anecdotique, est que son auteur endosse l’un des prénoms le plus potentiellement nostalgiques et dévastateurs de France… contrairement à son nom de famille, imprononçable à moins d’avoir avalé du gloubi-boulga macéré dans de l’alcool à 90°. La seconde raison qui fait de ce Little Boy une arme de destruction massive revient au style graphique adopté. De multiples petits coups de crayon forment un ensemble minutieux dans lequel la rétine se fait en permanence chatouiller de plaisir. C’est rond, douillet, rassurant. Voici venu le temps de l’île aux Enfants. Les personnages ont des traits mignons. Leurs têtes de poupons, leurs gabarits courts sur pattes et leurs tournures d’esprit espiègle font de leur aventure une sorte de jeu de rôle dans lequel des enfants s’amusent à faire les grands. Un peu à la manière de la Guerre des Boutons. Jusque là, tout va bien. Sauf que derrière la ligne rondelette, les grosses joues qu’on pincerait avec malice et les gamineries bon enfant, le périple livré par ce Kazimir-là est ficelé d’affrontements barbares, de tripes au soleil et de mares de sang. Tout ce que l’on peut attendre d’un contexte post-apocalyptique digne de ce nom  et où l’instinct de survie balaye d’un simple revers de main le pacifiste qui sommeille en nous ! Evidemment, à l’instar du rejeton ameutant tout son monde pour un minable petit bobo, la violence insoutenable décrite dans les lignes ci-dessus n’est pas aussi effective que celle contenue dans les pages de Etoile de Chagrin. Certes, Strzepek (à vos souhaits) n’hésite pas à mettre en danger ses héros de papier, à leur tailler une oreille ou couper un membre, mais le traitement demeure fun, décalé, assez proche des malencontreuses morts du Kenny de South Park (en moins trash et toutes proportions gardées). Il découle de cette aventure prenante - racontée suivant plusieurs points de vue (celui d’un duo de survivants à la recherche d’une donzelle disparue et secondé par une étrange bébête mangeuse de rêves ; celui d’un "tueur coupeur" cool et apparemment amnésique qui se fraye un chemin vers le sud-ouest sans but évident), un background superbe, plein de mystères à résoudre et peuplé de créatures bizarres et variées qui adorent – entre autres, embolcher[1] ou lacérer tout ce qui bouge. Le rythme de la narration est d’ailleurs calibré de sorte à ne laisser aucun passage soporifique. Entre les répliques qui défoncent, les situations improbables ou la construction progressive d’une vraie belle atmosphère faisant écho aux meilleurs moments du genre, les 216 pages se dévorent en un rien de temps. Peut-être est-ce là le seul gros problème…

Etoile du Chagrin n’est pas un oneshot. C’est une saga apparemment pensée pour remplir les nombreuses feuilles de six volumes ! Je sais… L’information est rude pour tous ceux qui - comme moi, ont une certaine aversion vis-à-vis des œuvres qui débordent du cadre d’une trilogie. Pourtant, l’entame que campe Kazimir Strzepek dans le présent tome chroniqué inaugure tellement de bonnes choses que le lectorat - friand de ce type d'équipée sauvage pourvu que les fragments de celle-ci ne soient pas livrés au compte-gouttes, aura du mal à oublier cette Etoile du Chagrin et ce, malgré l’interminable intervalle qui le sépare de la sortie du prochain tome (prévue vers la fin de l’année 2009 sur notre Hexagone). L’attente sera longue. Et la suite, espérons-le, à la hauteur du délai de livraison.

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[1] EMBOLCHER. v. Rouler avec une moto sur le corps pourrissant et gonflé d’un cadavre quelconque dans le seul but de faire exploser ses intestins et ses entrailles bien mous et liquéfiés. Activité ludique qu’il convient de pratiquer avec un casque anti-projection d'apparence tout à fait ridicule.