7.5/10L'Epervier - Premier cycle

/ Critique - écrit , le 12/08/2006
Notre verdict : 7.5/10 - L'Epervier : un aventurier trop parfait (Fiche technique)

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Critique du premier cycle : une bande dessinée agréable à visionner et à lire malgré certaines imperfections. Bien sûr L'Épervier n'innove pas le genre narratif et s'ancre avec assurance dans un modèle qui a déjà fait ses preuves dans le passé. Un récit qui se veut être dans la même veine que les romans de capes et d'épées.

C'est en construisant une intrigue divisée en 6 tomes que Pellerin a clotûré la première grande saga contant les exploits de Yann de Kermeur. Surnommé l'Epervier, cet ancien voleur des mers devenu corsaire pour le roi de France hisse fièrement les voiles de l'aventure, dont le genre renoue avec des séries oubliées.


Né à Brest en 1955, Patrice Pellerin restera toujours profondément attaché à sa terre natale. Après avoir fait les Beaux Arts de Reims où il en ressort illustrateur, le jeune homme rencontre sur son chemin professionnel Moebius. Ce dernier ne tarde pas à le présenter à Jean-Michel Charlier, fameux scénariste de Barbe Rouge. Suite au décès du dernier dessinateur en date, Charlier recherche une autre personne pour illustrer les récits du pirate. Pellerin collabore avec lui durant deux albums. Une expérience qui le marquera sans doute par la suite au vue de la construction narrative qu'il choisira pour son héros. Une fois le travail en duo achevé, Pellerin tente de devenir autodidacte en construisant lui même ses propres scénarios. Il écrit alors Les aigles décapités pour Kraehn avant de réaliser l'ensemble d'un projet de son propre chef. Le premier tome de L'Epervier (le passé de Kermellec) parait en 1994.

L'histoire se déroule au milieu du XVIII ème siècle. Jeune homme et capitaine du vaisseau "La Méduse", Yann de Kermeur n'en reste pas moins une fine lame aussi à l'aise sur un cheval qu'au tir au pistolet. Cet ancien pirate au passé mystérieux a été gracié par le roi avant de le servir en tant que corsaire. Une fleur de lys marquée dans sa chair conserve néanmoins une trace indélébile de sa vie ancienne. De retour à Brest suite à une expédition, Yann de Kermeur reçoit la visite de l'intendant du comte de Kermellec. Le serviteur est porteur d'un message indiquant que notre héros est attendu par ce vieil homme qu'il a connu dans sa jeunesse et auquel il doit une partie de son éducation. Le soir même, l'Epervier se rend à ce mystérieux rendez-vous et découvre le comte mortellement blessé dans la chapelle où la sépulture d'un de ses ancêtres a été profané. Le mourrant lui murmure quelques mots avant de rendre l'âme. Découvert par des domestiques du comte sur les lieux du crime, Yann évite de justesse la pendaison grâce à l'intervention d'Agnès de Kermellec, petite fille du défunt maître des lieux. Commence alors pour l'Epervier une étrange aventure qui le mènera jusqu'au jungles guyanaises. Une épopée où il devra tout mettre en oeuvre pour prouver son innocence, récupérer son navire et découvrir les mystères qui entourent cet assassinat.

A la première lecture de L'Epervier, nous pouvons ressentir facilement le travail graphique et documentaire nécessaire pour retranscrire parfaitement l'époque. Une iniative où il faut saluer l'auteur. Pellerin ne fait pas qu'illustrer un récit dans le simple but de montrer la beauté des paysages, il met tout en oeuvre pour faire renaître de ses cendres le patrimoine historique de l'endroit où se déroule l'action. Que ce soit le port de Brest et ses constructions démesurées, la presqu'île de Crozon encore préservée de toute habitation, ou les forêts tropicales d'Amérique du Sud aux arbres gigantesques. Des petits détails qui attireront sans doute l'oeil de certains lecteurs curieux de découvrir ces régions sous un autre angle. Mais l'auteur élargit son étude architecturale aussi dans le milieu naval. Les galions et autres bateaux d'époques sont dessinés avec précision. Pellerin épanouit ici pleinement son trait académique soucieux du moindre détail. Les couleurs agréables à l'oeil dynamisent ainsi le graphisme réaliste dont le procédé donne ordinairement un côté figé. La seule ombre au tableau se trouve plutôt dans le dessin des personnages. Élève glorifiant les pièces maîtresses de Michel Ange, Pellerin offre à ses protagonistes des physiques olympiens. Yann de Kermeur arbore souvent les mêmes attitudes faciales provoquant alors un manque d'expressivité. Tous les acteurs, féminins ou masculins, ont la base du visage carré. Le tout donne parfois l'impression d'une très forte ressemblance entre deux personnages. Chose visible notamment chez les femmes même si, en contre-partie, elles sont plus réussies.


Comme il a été mentionné plus haut, les aventures de Yann de Kermeur n'innovent pas le genre. Au contraire, elles renouent avec un procédé traditionnel, fortement visible notamment avec la série Barbe Rouge. Tout d'abord dans le fond : l'homme à la réputation discutable est victime de calomnies et va devoir par ce fait réaffirmer aux yeux de tous son honneur. Le tout avec peut-être un trésor à la clef. Ensuite dans la forme : durant son périple, L'Epervier pourra compter sur ses fidèles seconds, son équipage emprisonné, ou des rencontres imprévues. Mais cela ne le mettra pas à l'abri de certaines trahisons ou de confrontations avec des esprits fourbes. Yann parviendra le plus souvent à déjouer les pièges et complots en usant de la ruse, mais aussi des armes lorsqu'une forte dose de chance ne vient pas croiser son chemin. Preuve en est avec cet extrait du tome trois : Tempête sur Brest. L'Épervier a été trahi par deux membres de son équipage avides d'argent. Ils l'ont fait chuter d'une falaise avec en bas une mer fortement agitée par un grain. Après avoir tout remis en ordre, l'homme raconte à ses fidèles matelot comment il s'en est sorti :

"... Ce qui m'a sauvé quand la corde a cédé, c'est que je sois juste entre les rochers, et non au dessus. (Pellerin met bien les mots en gras pour souligner à quel point notre aventurier sans peur et sans reproche a eu de la chance). Quand le flot m'a remonté, il m'a endossé violemment sur un énorme bloc. Malgré le choc, j'ai réussi à l'agripper et à me hisser hors de l'eau. Blotti dans une anfractuosité, à moitié sonné, transi de froid ... j'ai attendu que les frères cessent leurs recherchent et me croient mort. Ensuite, j'ai grimpé malgré les rafales de vent, la roche glissante et l'obscurité..." "Vous connaissez la suite" conclut-il. Inutile donc d'insister sur le fait que nous n'avons pas affaire au commun des mortels. Yann de Kermeur est un surhomme dont les fesses ont été excessivement bénies par St Anne même s'il n'est pas un enfant de choeur. Quoiqu'il arrive, il est inutile de trembler sur son sort, il parviendra toujours à s'en sortir.

Même si l'on connaît d'avance la fin non tragique du personnage, Pellerin parvient à construire une intrigue riche où il dose avec justesse scènes d'actions bien découpés et les moments de discussion. Pourtant certains points mériteraient d'être davantage approfondis. A commencer tout d'abord par le passé mouvementé de l'Epervier qui apparaît vaguement en fonction des tomes. Le procédé est le plus souvent utilisé pour illustrer les faits d'un personnage ayant croisé sa route. Que ce soit le comte de Kermellec ou le cousin impulsif d'Agnès. En plus du passé de Yann, il est regrettable que certains protagonistes secondaires n'aient pas eu une place plus affirmée, notamment Madame de Beaulieu et son esprit vengeur. Enfin, il faut prendre en compte quelques retournements de situation, prévisibles mais spontanés, comme par exemple Marion et son sens giratoire de l'amour.


Au final, le lecteur se retrouve face à une bande dessinée agréable à visionner et à lire malgré certaines imperfections. Bien sûr L'Épervier n'innove pas le genre narratif et s'ancre avec assurance dans un modèle qui a déjà fait ses preuves dans le passé. Un récit qui se veut être dans la même veine que les romans de capes et d'épées. Les quelques défauts seront peut-être comblés dans le second cycle prévu par Pellerin dont le tome 7 : La Mission doit paraître prochainement.


Albums du premier cycle :

Tome 1 - Le trépassé de Kermellec (1994)
Tome 2 - Le rocher du crâne (1995)
Tome 3 - Tempête sur Brest (1997)
Tome 4 - Captives à bord (1999)
Tome 5 - Le trésor du Mahury (2001)
Tome 6 - Les larmes de Tlaloc (2005)