8.5/10Destins - Tome 6 - Déshonneurs

/ Critique - écrit par athanagor, le 15/11/2010
Notre verdict : 8.5/10 - Guère trivial (Fiche technique)

Tags : tome ellen destins giroud iles frank france

Dans la branche africaine de cette série, un  choix s'offre à l'héroïne. Celui qu'elle prend ici permet un ouvrage riche, à retenir dans le nombre des parutions de la saga.

Enfermée dans son cachot, Ellen s'enferme également dans sa résolution. Elle ne filmera pas l'exécution de ses compagnons et qu'importe que cela lui coûte la vie. D'ailleurs comment pourrait-elle vivre avec ce poids sur sa conscience. Pourtant il lui faudra bien admettre que vivre n'est plus à l'ordre du jour. C'est de survivre dont il s'agit maintenant. C'est ce que Akim, enfant soldat et son gardien d'un soir, lui fera comprendre. Il lui fera aussi comprendre que dans la situation où ils se trouvent, les gardiens ne le sont pas toujours en leur âme et conscience. Que ce soit par le biais d'un choix contraint ou par manque d'alternatives, la situation s'impose souvent à eux. Et ceci elle le comprend d'autant plus clairement que son jeune gardien parle un anglais impeccable, mâtiné d'expressions qu'on n'apprend pas dans les guerres civiles africaines. Akim, lui, porte un autre regard sur cette situation : s'il se retrouve aujourd'hui le gardien d'Ellen et dépossédé de son ancienne vie, ce n'est pas par manque de choix, mais plutôt parce qu'il est une des pièces nécessaires à l'accomplissement d'une prophétie connue de son clan. En somme, le jouet du Destin.

Autant on avait pu croire à un délire passager, soit des auteurs, soit d'Ellen elle-même, dans Le fantôme, où Jane lui apparaissait, clairement et en surbrillance, tel le spectre de la culpabilité, allant
jusqu'à lui passer des coups de fil flippant sur son portable. Autant dans cet épisode on comprend que la série a été pensée dans une direction surnaturelle, au moins pour ce qui concerne cette branche-là. Moins tape-à-l'œil que l'opus sus-cité, Déshonneur affirme néanmoins cette intention générale avec, ce qui ne gâche rien, une histoire rondement menée.

Déjà, on pouvait se réjouir du très agréable trait de Gilles Mezzomo qui, gardant pourtant une certaine distance avec son sujet et son environnement, parvient à en exposer les détails. Malgré qu'on ne se sente pas immergé dans la touffeur africaine, on a l'impression que rien ne nous échappe, tant au niveau des évènements qu'à celui de ce qui se passe dans les esprits. Mezzomo trace une description pointue et claire de cette histoire sans la départir d'un réel esthétisme qui poussera à s'y attarder. C'est d'ailleurs peut-être pour cette raison que l'on est plus sensible aux détails, parce qu'on les a regardés plus longtemps.

Mais surtout, c'est dans l'agencement des évènements par Kris qu'on trouvera le plus de souffle. Interminable et tendue, cette histoire n'en finit pas de nous récupérer sur le fil pour servir au plus juste la cohérence des situations. Pas d'effets de manche, pas de solution miracle, mais l'âpre lutte au ressenti interminable de la survie en milieu bigrement hostile. Ce qui permet à l'histoire d'asseoir cela, c'est le choix des situations sous-jacentes et apparemment bénignes en regard du long fleuve de la saga mais qui, dans ce moment particulier, sont autant d'éléments décodant.
Ainsi de l'aveuglement des chefs tribaux et leur relative ignorance, et l'opposition marquée de ceux-ci avec la personnalité brutale et calculatrice du mercenaire pourtant à leur solde. Marquante aussi cette foule guerrière et polyglotte, galvanisée par son nombre et à l'affût de la moindre victoire, fût-elle sur des humanitaires, comme un écho à la violence quotidienne à laquelle chacun des individus la constituant est malheureusement trop habitué. Autant de points d'accroche qui donnent au récit un fond palpable et désagréable, mais qu'on jurerait être la réalité. Bref, c'est ancré dans une réalité sombre, décrite avec les apparences de l'objectivité, jusqu'à en devenir étrangement familière, que les auteurs préparent le terrain du surnaturel.

Sans aucun doute cet album sera à retenir comme un des plus marquants de la série, exposant la confirmation du virage vers l'étrange, mais avec une retenue emprunte d'humilité face aux évènements terribles qui l'accueillent. Mélangeant les genres avec habileté sans jamais en atténuer la portée, Mezzomo et Kris livrent un excellent travail, poignant et accrocheur.