ATTENTION : CONTENU RESERVE A UN PUBLIC AVERTI

Les images et textes à caractère érotique, pornographique ou violent contenus dans cette page peuvent choquer certaines sensibilités. En consultant cette page, vous attestez être majeur au regard de la loi française et vous prenez vos responsabilités par rapport à son contenu.

CONSULTER QUITTER

8/10Déchus - Verset 1 - Cosmogonie

/ Critique - écrit par Maixent, le 21/01/2012
Notre verdict : 8/10 - Nous ne chommes pas déchus... (Fiche technique)

Tags : dechus guilbert dieu comics aurelien editeur terre

Un album inclassable, très sombre et violent où tout, et surtout le pire, semble être possible. Au final une très bonne surprise.

Déchus s’ouvre sur le « Notre père », histoire de se mettre directement dans l’ambiance. Mais attention, on a très vite compris, notamment grâce à la couverture aux couleurs tranchées représentant une femme d’un érotisme agressif tenant à la main un chapelet et un pistolet, qu’on n’aurait pas à faire à un ouvrage de catéchisme. Pour l’auteur, Déchus est un drame intimiste mais il semble plus pertinent de mettre en évidence ce qu’il n’est pas malgré les faux semblants.
Déchus n’est pas un comics. Malgré l’influence évidente de la série
Sin City de Frank
Devo, prix Nobel des enflures
Miller (l’album est traité en noir et blanc avec l’utilisation d’une seule couleur additionnelle, le rouge), il n’y a pas la froideur et le détachement graphiques que l’on peut trouver dans les albums de Miller. Ici le trait est plus brouillon, plus sale et plus confus, Aurélien Guibert s’en dédouane en se définissant comme un scénariste qui dessine. Mais là où on perd sans doute en pureté graphique, on gagne en force et d’une certaine façon, en réalisme. Ce monde dégueulasse et corrompu, dans lequel la violence est quotidienne et la morale inexistante, est parfaitement rendu par le trait rageur de l’auteur dont on ressent chaque coup de crayon.
Déchus n’est pas une bd de cul. On y trouve des scènes très crues mais en parfaite adéquation avec le récit. Rien de gratuit. Dans ce monde de violence, faire l’amour est
Esther, la tueuse
une force brute qui s’exprime avec d’autant plus de passion et il serait malvenu de s’autocensurer au nom d’une morale qui n’a rien à faire ici. Des personnages camés jusqu’aux oreilles grâce à une drogue appelée l’Eden, dont on découvrira la nature au cours du récit, baisent dans le sang et flirtent avec la mort dans un ultime élan vital. Le sexe y est frontal, agressif, sans une once d’amour ou de plaisir, mais plutôt vécu comme une scarification, un acte violent permettant de se confronter à ses démons qui prennent réellement corps sous l’effet de la drogue.
Déchus n’est pas une œuvre ésotérique ou mystique. On n’y trouve pas de morale alambiquée empreinte de judéo-christianisme. Si on y voit des personnages de la culture occidentale comme Eve ou Gabriel, ils sont ici détournés, victimes d’un système dans lequel ils ont perdu pied plutôt que véritables instruments de Dieu. En effet, nous sommes plus proches de l’occultisme d’un John Constantine dont Guilbert revendique l’influence, que d’une resucée grossière façon Dan Brown.
Déchus c’est plutôt une bande dessinée ayant digéré une multitude de comics, et principalement les comics noirs restitués avec originalité dans des codes plus
Martin, le guide
européens. Aurélien Guilbert étant le créateur du site www.heykids-comics.com consacré aux comics, il n’est pas surprenant que ces derniers soient pour lui une source d’inspiration, ce que l’on note dans le dessin, mais aussi dans la structure même du récit avec un découpage particulier et une narration déconstruite, qui demandent une certaine concentration. Tout dans l’album est pensé avec minutie et on entre de plein pied dans cet univers en proie au chaos et à la destruction par un prisme maitrisé, ce qui confère au bordel décrit d’autant plus de réalisme.
En ce qui concerne le pitch, il ouvre sur de multiples possibilités à découvrir dans les quatre albums qui vont suivre. Sachant qu’il s’agit d’un album d’exposition, on apprend qu’Esther est envoyée sur Terre pour buter les anges ayant choisi de s’incarner dans un corps de chair et découvert des « sensations physiques à damner un saint », mais elle va vite s’apercevoir que gérer ces nouvelles pulsions est plus complexe qu’il n’y paraît et que d’autres enjeux existent.
C’est donc un album plein de promesses que ce premier verset, qui met en scène des personnages attachants et travaillés. Guilbert propose ici un travail maîtrisé et original, assez violent, mais ouvrant de nombreuses perspectives. En signant sa première œuvre en tant qu’auteur complet, il met en avant de véritables talents de conteur qui a su absorber divers influences pour créer une œuvre personnelle.