8/10Corps de rêves

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 15/12/2010
Notre verdict : 8/10 - Jamais deux sans trois (Fiche technique)

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Joli témoignage d'une grossesse parmi des milliers d'autres uniques et différentes, Corps de rêves parvient à donner un goût d'universel aux émotions et pensées personnelles qui occupaient l'esprit de son auteure pendant cette période inoubliable.

Moment de basculement dans un nouvel univers, une autre vie, faits de perspectives diamétralement opposées à ce qui précède. Passage de deux à trois : la grossesse. Pour dédramatiser et accompagner ce chemin sinueux émaillé de surprises et de doutes, quoi de mieux qu'une mise en mots et en images légère et habitée, à la fois concentré d'informations et témoignage d'émotions, le tout raconté par la première concernée : une femme enceinte. A la barre, une auteure de BD ayant œuvré en tant que scénariste dans Sophia libère Paris et comme dessinatrice dans le collectif Premières fois. Capucine s'attèle à une sorte de journal de bord séquentiel et autobiographique, où rien ne sera oublié, ni épargné... pour mieux se souvenir, mais aussi rassurer ses consœurs ?


Notre histoire débute de manière tout à fait idyllique et romantique : sur le siège des toilettes. Deux jours de retard ... et un gros plan sur ce machin en forme de stylo et sur ce regard qui en dit long. Ca y est, plus de doute : Capucine va bientôt dire adieu à la vie à deux, et accueille dans son antre et dans son ventre un joli petit être en devenir. L'album s'articule autour d'un enchaînement de tranches de vie constituées d'une ou deux planches, narrant chaque étape déterminante, parfois drôle, parfois inquiétante, mais toujours émouvante, de cette période que seules les femmes connaissent. A la première personne comme elle écrirait son journal intime et sans trop d'artifices ni de fioritures, Capucine passe en revue tout ce qui ponctue, secoue voire bouleverse le quotidien de cette nouvelle existence. Les incontournables et impératifs médicaux et administratifs, évoqués et vécus comme des épreuves, paperasses et formalités sans fin : prises de sang, test de glucose, inscription à la crèche... Les frayeurs irrationnelles : craintes, angoisses et même cauchemars sans queue ni tête. Mais surtout les premières grandes prises de conscience et surtout émotions inconnues : le ventre qui s'arrondit, les premiers coups de pied, la découverte du sexe du bébé.


A ce titre, cette bande dessinée apparaît bel et bien comme une période, intime et subjective. Elle est d'une part racontée par étape et en mettant en exergue des instants bien précis au fil des semaines, est bâtie sur une fluidité et une fulgurance palpables ; elle est par ailleurs ressentie comme une attente lancinante, certaines pages soulignant la langueur et l'impatience de voir son corps changer. Pourtant il semble bien qu'aussi préparée et impatiente que l'on puisse être, l'issue de cette grande phase propre à chaque femme soit de l'ordre de la surprise : les mots « Déjà ? » ou « Ca y est ! » chatouillent le bout des lèvres de Capucine, à en croire son expression et celle du futur Papa sur la jolie pleine page en négatif illustrant l'annonce de l'accouchement. Concernant le fameux Papa, on regrettera juste qu'il ne soit présent qu'en arrière-plan, même si l'on décidera de n'enfoncer aucune porte ouverte en affirmant que la plupart des grands changements sont à l'initiative de la Maman. Quand bien même le terme est fort, cette sorte de "mise à l'écart" rend le témoignage de Capucine plus authentique et plus juste peut-être, bien qu'on puisse imaginer qu'un futur Papa trouvera sans doute peu de réponses à ses questions, en dehors de ce qui concerne l'irrationnelle ambivalence dévorant sa compagne.



La forme proche du carnet de croquis, avec ce trait direct encré à l'épaisseur irrégulière, donne du volume et de la lumière aux personnages et aux scènes. Le graphisme est plutôt arrondi et doux comme le ventre en question, mais laisse parfois place à des accès de dureté pour certains tableaux, comme celui du cauchemar. En apparence minimaliste et entièrement en noir et blanc, le dessin parvient toujours à être juste, qu'il s'agisse des expressions d'émotions et d'humeurs, ou des postures tendres ou amusantes. Miroir des pensées de Capucine, son écriture manuscrite s'intègre parfaitement à son graphisme, comme si elle avait annoté ses griffonages pour ne rien oublier. Une calligraphie déliée aux accents enfantins qui semble glisser comme les heures et les semaines qui s'écoulent jusqu'au terme tant attendu.

Joli témoignage d'une grossesse parmi des milliers d'autres uniques et différentes, Corps de rêves parvient à donner un goût d'universel aux émotions et pensées personnelles qui occupaient l'esprit de son auteure pendant cette période inoubliable. Réédition de l'album publié en 2004, quand la grossesse et la mise au monde étaient toutes fraîches, cette nouvelle édition offre en supplément une dizaine de pages, retraçant sous formes d'anecdotes truculentes en « lecture rapide » la  vie post-accouchement et la croissance fulgurante de la nouvelle arrivée dans la famille. On retrouvera également en fin d'ouvrage des petits dessins « cadeaux » d'amis illustrateurs ou auteurs de BD (Boulet, Mélaka, Libon...), accueillant eux aussi la venue du bébé comme autant de marraines penchées au-dessus du berceau.