7.5/10Les Contrebandiers de Moonfleet

/ Critique - écrit par athanagor, le 06/07/2009
Notre verdict : 7.5/10 - Pas de petit pro... fi ! (Fiche technique)

Reprise recadrée, augmentée et décolorisée d'un premier tome paru en 2004, cette BD a le charme d'un roman d'aventure, avec des cartes et des trésors... Aawrr !

Au commencement, il y a un livre, surtout destiné aux jeunes lecteurs, écrit par John Meade Falkner : Moonfleet. Edité en 1898, ce roman connaîtra surtout les honneurs du public pour avoir été l'inspirateur du film éponyme de Fritz Lang, sorti en 1955 avec Stewart Granger. Pourtant le film semble être une adaptation assez libre du roman, ne reprenant à son compte que la situation géographique et les aspects du cœur de l'intrigue, mais ne distribuant pas les rôles avec la même importance, allant jusqu'à modifier le nom et la situation du jeune héros que l'on suit dans cette aventure. Dans la lignée du film, paraîtront en novembre 2007 et octobre 2008 les tomes 1 et 2 de Moonfleet, chez Robert Laffont, par Dominique Hé et Rodolphe. Puis en mai 2009, paraîtra cet ouvrage, qui rattache l'intrigue au cœur de ce qu'était le roman d'origine, en reprenant les personnages et les rebaptisant convenablement. Ceci dit, tout n'est pas si simple, car le présent volume est en faite la reprise recadrée du premier tome de Moonfleet, L'ombre de Barbe-Noire, paru en janvier 2004 chez Treize Etrange. Dé
jà résultat de la collaboration entre Marion Mousse et Igor Szalewa, ce premier tome était alors colorisé par Albertine Ralenti, mais allez savoir pourquoi, on attend toujours le tome 2. Et on peut l'attendre longtemps, car comme expliqué plus haut, cet ouvrage reprend sous format carré et en noir et blanc cette première parution, et la prolonge jusqu'à en faire un one-shot épais et tout à fait recommandable.

Ce n'est pas ici que vous apprendrez qu'il s'agit d'une histoire de flibuste et de contrebande, mettant en scène la cruauté humaine et la mort des illusions de l'homme pur, pour illustrer le passage de l'enfance à l'âge adulte. Le roman et toutes les œuvres conséquentes étant certainement tournés vers cet aspect, comme le soulignent si justement toutes les publications et critiques leur ayant traits, jusqu'à celle concernant le présent ouvrage. Nous arrêterons donc ici les frais dans l'analyse sémantique.

Rappelant furieusement L'île au trésor de Stevenson, cette histoire destinée aux jeunes lecteurs de 1898 garde par cette identité particulière, le pouvoir de ne plaire qu'aux lecteurs trentenaires qui ne savent pas différencier une game-boy d'une PSP, et disent « Naintandeau » quand ils parlent de leur meilleur score sur Yoshi Island. Simple et envoûtante, fleurant bon l'aventure, le sel de mer et le rhum des îles, l'histoire enchaîne les tableaux et les situations avec la limpidité d'un glaçon dans un verre de brandy. Menant son protagoniste d'une médiocrité toute paysanne aux tréfonds de la misère pour l'élever finalement, par les armes du génie et de la chance, aux sommets de la gloire et de l'amour, elle emploie avec panache les recettes simples, mais efficaces, qui font qu'un roman d'aventure ne se pose que tard dans la nuit, à la faveur d'une fatigue insurmontable.

Pour agrémenter l'aspect toujours chouettos de ces bons romans où l'on adore haïr le noble anglais, que son cœur vicié a guidé jusqu'au plus hautes fonctions, le trait particulier de Mousse finit de parachever l'équation heureuse dans laquelle se résout cet ouvrage

Pourtant dans un premier temps, et à son corps défendant, le lecteur qui n'a que peu de culture ne peut s'empêcher de faire des ponts entre le dessin de Mousse et celui de Rémy Mabesoone avec son époustouflant Au revoir Monsieur. Dans ce premier
temps la comparaison n'est pas réellement à l'avantage du présent opus. Considérant la fluidité et l'esthétisme du trait, Mabesoone l'emporte de deux encolures. Puis ce lecteur obtus, au fil de la lecture, parvient à discerner la personnalité du style de Mousse. Epais, à la limite du grossier, il ne s'encombre pas de détail et joue sur les impressions, par le biais de traits caricaturaux qui finissent par faire passer avec limpidité tous les sentiments que l'histoire met en œuvre. Et là, la comparaison tenue plus haut justifie d'une égalité entre les deux artistes, de ceux qui parviennent à véhiculer toute une valoche de non-dit avec un dessin impulsif et sans fioritures. Là encore, c'est par une vraie capacité à faire des "gueules" que le message se trouve enrichi. De plus, Mousse, déclaré fan de cinéma des années 50 et 60, imprime à son dessin le dynamisme de prises de vue variées, subjectives et descriptives, toujours dans une enchaînement logique, et servies par un art consommé de l'utilisation des ombres. Quelques titres viennent alors à l'esprit, comme susurrés par le dessin, à l'exemple cette couverture qui vous a un on-ne-sait-quoi de M le maudit et sa fin vengeresse.

Bref, de l'aventure et des sentiments, des frissons, de la trahison en veux-tu en voilà, des bandits au cœur d'or ou des honnêtes gens malfaisants, tout est là, à portée de main, pour qui n'a pas eu depuis longtemps sa dose de plongeon du haut du mât de vigie... avec de l'âme en sus.