9/10Les Coeurs solitaires

/ Critique - écrit par iscarioth, le 19/01/2006
Notre verdict : 9/10 - Discours sur la solitude (Fiche technique)

Dialogues, mise en page, couleurs, expressions, scénario... Tout, dans les coeurs solitaires, sonne très juste. Pour apprécier l'album, il faut bien évidemment être sensible à l'intimisme.

Jean-Paul est un jeune homme à la vie bien morne : une mère envahissante et protectrice, quelques maigres occupations sportives, une vie amoureuse et sexuelle inexistante et à peine quelques amis... Il décide un jour de tout plaquer pour s'embarquer dans une croisière organisée pour célibataires.

01Jean-Paul est un grand jeune homme filiforme et introverti. Pas plus bête qu'un autre, il apparaît tout de même aux yeux de beaucoup comme un looser et s'enfonce dans une solitude et un grand mal de vivre. Ecrire une histoire sur le thème de la solitude est une entreprise difficile. On imagine deux grandes voies à emprunter ; la voie humoristique, dans la veine de ce que fait Tronchet avec Jean-Claude Tergal et la voie plus émotive et contemplative (Je ne t'ai jamais aimé, Chester Brown). Bizarrement, on ne peut pas dire que Cyril Pedrosa, avec Les coeurs solitaires, penche d'un côté plutôt que de l'autre. Indéniablement, l'auteur est doté d'un grand sens de la caricature. Très doué pour restituer les expressions faciales et pour accentuer la gestuelle de chaque personnage, Pedrosa ne manque pas, avec la panoplie de personnages peuplant cet album, de nous faire sourire. Mais le sourire est toujours un peu jaune, on ne peut jamais vraiment se détacher du personnage pour ne saisir en lui qu'un acteur de récit comique. C'est pour cela que les coeurs solitaires est plus à ranger à coté de BD intimistes ou quotidiennes comme celles de Grégory Mardon, de Jean-Philippe Peyraud ou de Etienne Davodeau plutôt qu'à coté d'albums purement humoristique. En lisant les coeurs solitaires, que l'on souffre ou non de solitude ne change rien au fait que l'on s'identifie au personnage principal et que l'on vit avec lui des moments de détresse, d'humiliation et d'échec.

30540.Côté dessin, Cyril Pedrosa, ancien des studios Disney, fait preuve de beaucoup d'intelligence. Comme nous l'avons dit, l'auteur est doté d'un bon coup de crayon, capable de saisir de manière très humoristique les expressions, gestes et physiques des personnages. Mais l'album s'engouffre parfois aussi dans des échappées plus oniriques, fantasmatiques ou cauchemardesques, pendant lesquelles les traits s'épaississent pour laisser place à la tourmente. Le choix des plans et de la mise en page est aussi sans faute. Pedrosa utilise le gaufrier pour faire défiler le temps, avec une succession de vignettes silencieuses révélant quelques instants de vie (l'équivalent du montage en flash back au cinéma). On se souviendra aussi des strips de vignette étalés sur toute une planche et questionnant pour chaque ligne un personnage différent en regard caméra. Dans Les coeurs solitaires, la solitude est un thème évoqué sans impudeur mais aussi sans hypocrisie. La sexualité n'est pas esquivée et l'on évoque les fantasmes et la misère sexuelle de Jean-Paul.


Dialogues, mise en page, couleurs, expressions, scénario... Tout, dans les coeurs solitaires, sonne très juste. Pour apprécier l'album, il faut bien évidemment être sensible à l'intimisme. En comparant Shaolin Moussaka, Ring Circus et les Coeurs solitaires, on observe la capacité de Cyril Pedrosa a s'extérioriser au travers de styles différents. Avec Les Coeurs solitaires, Pedrosa nous a démontré qu'il n'était pas qu'un bon dessinateur, mais un auteur à part entière.