8.5/10Château l'Attente

/ Critique - écrit par gyzmo, le 21/11/2007
Notre verdict : 8.5/10 - Fantasy du quotidien (Fiche technique)

Tags : chateau attente medley linda tome comics histoire

Un roman graphique tout public qu’il serait bien dommage de ne pas avoir dans sa bibliothèque, entre les incontournables Terres du Milieu de Tolkien et le royaume des Six-Duchés de Robin Hobbs, histoire de mettre un peu moins de sérieux et un peu plus de malice sur vos étagères...

Château l’Attente : n’est-ce pas là un titre qui appelle à la curiosité ? Serait-ce un refuge pour désœuvrés ? Un repaire de fantômes ? Quels charmes pourraient bien vivre derrière ces murs aux consonances à la fois fortes et tranquilles ? Sans doute le merveilleux ! Ou peut-être bien son contraire… C’est à Linda Medley que l’on doit cette trouvaille. Pour les aficionados de Marvel et DC Comics, son nom ne leur est sûrement pas inconnu. Coloriste pour les X-Men ou dessinatrice sur les séries Justice League et Doom Patrol, cette artiste talentueuse va créer l’événement en 1996 avec son "Castle Waiting" (titré ainsi dans sa version originale). En partie auto éditée, saluée par la critique, couronnée par une flopée d’Awards, cette fable par épisodes va rapidement devenir une référence de la Fantasy. Pas étonnant que les chercheurs de pépites de Ca et Là aient introduit sur notre hexagone la mise en boîte de ces péripéties dans un très beau roman graphique.


De la Belle au bois dormant aux légendes naines, en passant par les Trois petits cochons, Château l’Attente détourne de leur réputation les Contes et Merveilles et embarque le liseur vers une réadaptation singulière de ces histoires qui ont fait le bonheur de notre (plus ou moins) jeunesse. Pas de manichéisme dans cette révision astucieuse : comme bien souvent sous la plume féminine, il est laissé sur le bord du chemin pour emprunter des sentiers plus recherchés, et par la même occasion, plus surprenant, à savoir le quotidien d’une vie de château. Les nuances et petits coups de griffes sont d’autre part l’une des marques favorites de l’auteur. L’Ordre des Sollicitines - segment important de Château l’Attente et développé en plusieurs chapitres, propose une conception de la religion (et des religieuses) tout à fait originale (et jubilatoire), sans pour autant tomber dans la raillerie. Il n’en va pas de même lorsque Linda Medley s’intéresse aux portraits de mâles sans états d’âme qui traitent les Femmes comme du bétail. Et si dans ce domaine la critique reste acide, malgré le propos grave, il faut bien reconnaître que l’auteur arrive à garder dans son regard une étincelle optimiste. Cela est indubitablement lié aux caractères joviaux, barrés et complémentaires des héros de Château l’Attente qui, au-delà des dures épreuves, font acte de caractère et s’en sortent toujours avec les honneurs.


Les traits raffinés de Medley et son noir et blanc font mouche. Les détails à foison construisent un environnement doux pour les yeux, enchanteur pour l’esprit. Il suffit d’ouvrir ce roman graphique à n’importe quelle page pour être aussitôt envahi par l’enchantement. Les postures et mimiques des personnages de Medley sont d’une élégance fascinante. Parmi eux, quelques figures marquantes : Dame Jaime et son bâtard en gestation, à la recherche d’un asile ; Sœur Paix de l’Ordre des Sollicitines, laquelle entretient une relation jubilatoire et décalée avec le diablotin Leeds ; le vieux de la rivière, trublion imprévisible rappelant le Fol de la Quête de l’Oiseau du Temps ; le forgeron taciturne Henry, concepteur des premiers landaus et bilboquets en ferrailles… La liste est loin d’être exhaustive. Les particularités de chacun, également. Car le talent de Medley est de raconter une histoire dans l’histoire. En effet, il faut être vigilant car la digression prend par moment des proportions essentielles. Mais rien n’est jamais de trop. Au contraire. Medley nous relate le vécu de ses personnages (et de ceux qui ont orienté leur destinée). Certains ont droit à une petite biographie rapide, d’autres à un pan entier de leur vie. Tous ont leur place dans le conte. Il est cependant regrettable que l’auteur ne s’attarde pas assez sur certains protagonistes en révélant plus de leurs petits secrets. C’est aussi cela la force de Château l’Attente : nous attacher à ses habitants vis-à-vis desquels nous aurions aimé passer encore plus de temps…

Les différents chapitres qui composent ce roman graphique très dense (plus de 450 pages) et au packaging de prestige se grignotent avec délectation, et sans modération. Difficile de lâcher prise lorsque l’on a commencé tant les aléas de cette communauté éclectique sont amusants et – contrairement à ce que la signification de Château l’Attente évoque en fin de compte – parfois mouvementés. Dans un contexte fantastico-médiéval personnel, inspiré tout de même de nombreuses références, l’auteur aborde du bout des doigts des thèmes parfois difficiles (tels que la violence conjugale) mais traite l’ensemble avec humour et espièglerie, omniprésents, quoiqu’il arrive. Un roman graphique tout public qu’il serait bien dommage de ne pas avoir dans sa bibliothèque, entre les incontournables Terres du Milieu de Tolkien et le royaume des Six-Duchés de Robin Hobbs, histoire de mettre un peu moins de sérieux et un peu plus de malice sur vos étagères...