7.5/10La chair de l'araignée

/ Critique - écrit par athanagor, le 05/12/2010
Notre verdict : 7.5/10 - Qui joue au plus fin ? (Fiche technique)

Une BD aux allures de mode d'emploi, qui porte un regard exempt de jugement sur deux jeunes gens en proie à l'anorexie. Tout à fait édifiant, quoiqu'un peu étrange.

Les deux personnages de cette BD sont minces. Très minces. Trop minces même. Mais les seuls qui y voient à redire sont leurs proches. Certains s'en inquiètent, craignant pour leurs santés. D'autres s'en offusquent pour différentes raisons. Eux, à l'inverse, ne se considèrent pas comme spécialement malades ou particulièrement en danger, mais ils vont tout de même consulter un psy, parce que c'est ce qu'on fait dans ces cas-là. Et après tout, ce n'est pas une si mauvaise chose, car c'est à la faveur d'une consultation qu'ils vont se croiser, d'une séance à l'autre. Plus tard, en toute amitié et en toute complicité, rapprochés par leur condition, ils s'installeront ensemble.

Plongeant sans misérabilisme ni ésotérisme dans le monde de l'anorexie, cet ouvrage se garde aussi d'apporter une explication ou une justification à l'état d'esprit qui anime les deux protagonistes. Ils sont anorexiques et on le comprend bien, pourtant on ne se souvient pas avoir trouvé le mot dans les pages, ce qui est surtout dû au fait que l'histoire nous est racontée tour à tour par chacun des personnages, qui ne semblent absolument pas se reconnaître dans cette appellation. En ce qui les concerne, il y a principalement une question de contrôle de son corps, une question de volonté. Ainsi, on assiste à leur quotidien comme on le ferait de n'importe quel couple d'amis, préparation de gueuletons compris, à la différence qu'ils n'en mangent qu'une cuiller avant de tout balancer à la poubelle. En adoptant ce point de vue de la banalité, les auteurs évitent la transformation des sujets en bêtes curieuses et incompréhensibles, pour ne se focaliser que sur leur état d'esprit et ce que eux considèrent comme être bon pour eux, sur ce qu'ils considèrent être normal. « Tout homme cherche le bonheur, y compris celui qui va se pendre » écrivait Pascal, et c'est ici ce qu'on retire en premier. L'attitude qu'on pourrait considérer comme suicidaire est ici réduite à un simple état de fait, une passade, quelque chose qui n'est absolument pas vécu par le sujet comme il est analysé par l'observateur, une solution et pas un problème.

Alors on pourrait penser que cette façon de présenter les choses soit un rien irresponsable, que de conforter les personnes souffrant de ce trouble de la perception dans leur idée qu'ils n'ont aucun problème soit équivalent à remplir une baignoire pour qui souhaiterait se tailler les veines. Eh bien, il n'en est rien, car tout l'ouvrage, qui nous installe dans une perception banalisée de ce trouble, se résout dans une rémission qu'on comprend survenir de la fin d'un mal-être. La négation du mal ne le fait pas disparaître et le rapport à la nourriture est bien le symptôme d'une pathologie plus large, qu'une simple assiette de pâté ne saurait seule faire cesser (ou peut-être avec du saucisson). En procédant ainsi, Hubert et Caillou nous permettent d'approcher leurs personnages au plus près, et d'adopter à leur égard un point de vue plus compréhensif.

Accompagnant l'histoire, le trait de Marie Caillou, les deux pieds dans le manga, conserve néanmoins une dimension réaliste dans le schéma des corps et la dimension des yeux. Une petite particularité physique propre à tous les personnages offre cependant un heureux résultat, celui des nez en forme de goutte sombre, qui n'impacte en rien l'aspect des gens « normaux », mais donnent aux visages des deux protagonistes principaux l'apparence de crâne, permettant ainsi de ne pas perdre de vue que, bien qu'on tente de diluer l'attention du lecteur dans le quotidien, tout ne va pas pour le mieux. Pour parachever le tout, la mise en page et en couleur offrent à l'ensemble une apparence de mode d'emploi, de ceux qu'on trouve dans les avions et qui vous expliquent comment survivre si vous avez échappé à ce à quoi on ne survit pas.

Une lecture tout à la fois agréable et édifiante, à la conclusion qu'on aura un peu de peine à bien articuler malgré l'évidence de son message, et qu'il faudra relire pour en saisir pleinement les nuances. Mais il ne faudra, à ce moment, fournir aucun effort de volonté.