Cavales
Bande Dessinée / Critique - écrit par athanagor, le 09/10/2008 (Tags : cavale cavales cavaler jeux guide francois verbe
Les deux jeunes auteurs de cette BD nous livrent une histoire de gangsters en forme d'hommage poétique aux valeurs de la vieille garde, et on est touché par le style.
Serge est un gangster de province qui n'a jamais vraiment eu de chance. Beaucoup des coups qu'il a monté ou suivi n'ont rien donné d'autre que des emmerdes. Et pour une fois qu'un coup réussit et le garde loin des murs de la prison d'Auxerre (même si les flics le soupçonnent de près), tout le milieu est au courant. Et quand tout le milieu est au courant, la nouvelle voyage du gratin au fond du plat, vers les plus bas instincts et les adeptes des plus basses manœuvres. Alors que Serge peut se rassurer quant à ses rapports avec les autorités, sa fille est enlevée par une triplette de petites frappes de la banlieue, qui menacent de la descendre si Serge ne crache pas sa part du casse. Décidément, le crime ne p
aye pas.
C'est une sensation assez étrange qui s'empare du lecteur à la fermeture de cet ouvrage, un sentiment diffus et ouaté qui ne s'exprime que par un seul mot, étrangement surgit de l'esprit à peine éveillé de la transe tranquille d'où il revient. Ce mot est "discrétion". Toute l'essence de cette BD, qui développe l'opposition entre la vieille garde de braqueurs, menés par un code d'honneur solide, et une nouvelle engeance de voyous, prêts à toutes les bassesses pour aussi peu qu'un paquet de clopes, est distillée de la plus belle des discrétions. C'est une parfaite ode à ce mot, tant dans la forme que dans le fond.
Premièrement l'atmosphère est plongée dans la neige et l'hiver d
u Morvan qui noient les illustrations dans un parfait silence et une véritable quiétude, et nimbent la totalité de l'histoire d'un linceul informe, qui force le rythme de la lecture au niveau de la contemplation. Le cadre même de l'histoire, du côté d'Auxerre, prend le parti de ne pas raconter une histoire dans une capitale tentaculaire, dont les bas-fonds sont par trop tapageurs. Auxerre, ville de province n'est pas tous les matins dans les quotidiens nationaux, mais il lui arrive aussi des histoires, et si elle les dit moins fort que d'autres, elle les raconte aussi bien.
Le deuxième aspect de cette étalage de discrétion, c'est la rareté du texte et l'omnipotence de l'illustration pour faire avancer l'histoire. Le scénariste Stéphane Piatzszek s'est, pour cette fois, passé de tous ces mots qui encombrent bien souvent les cases que certains talentueux dessinateurs, comme Stéphane Douay, parviennent à créer.
Enfin, la fille de Serge, parfaite allégorie de la discrétion, traverse toute l'aventure avec la sérénité tranquille de ceux qui se savent soit immortels, soit irrémédiablement perdus, et arbore tout du long un calme olympien, qui en fait le témoin privilégié de toute la justice de cet album qui ne connaît qu'une seule Loi, celle du silence. Toutes les apparitions tonitruantes, dans le
cadre de l'histoire en elle-même, sont tôt ou tard punies. Tout ce qui brise le silence et l'atmosphère de discrétion, même pour la défendre et la perpétuer, finissent par payer le prix le plus élevé pour leur audace.
Par toute cette attention portée à la discrétion et au silence, on ferme l'album avec un esprit à la fois tranquille et incroyablement remué par la poésie que certaines de ces histoires de gangsters à la gueule carré et à l'éthique haute savent parfois inspirer. On ne peut s'empêcher d'être touché par cet homme, qui malgré son mauvais CV, campe une sorte de Jean Valjean qui n'aurait pas réussi à devenir M. Madeleine, et dont la seule véritable raison d'avancer est encore cette jeune fille discrète, dont il a la charge et à qui il porte tout l'amour qu'il n'a pas su, ou pu, offrir aux autres.